Julie Guillem

C’est le leader mondial du secteur des flottes d’entreprise et ses décisions donnent le « la » des grandes tendances de l’automobile professionnelle. Le groupe néerlandais de gestion de parc automobile LeasePlan a annoncé il y a quelques mois que, d’ici à 2030, 100 % de sa flotte globale serait à zéro émission. Qui l’eût cru il y a seulement cinq ans, quand, en France, neuf véhicules professionnels immatriculés sur dix avaient une motorisation diesel, quand la locution « voiture électrique » sonnait comme une blague aux oreilles des gestionnaires de flotte, quand les carburants alternatifs faisaient figure de lubies farfelues ?

Aujourd’hui, l’ambiance est tout autre. C’est même un sentiment d’urgence qui s’empare des responsables des parcs automobiles. Selon une vaste étude menée par l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi sur plus de 3 200 PME à travers le monde et dévoilée en février, 66 % des petites entreprises pensent que leurs véhicules seront 100 % électriques dans vingt ans, 50 % d’entre elles ont même la conviction que cette bascule sera effective dans dix ans.

Pour la première fois, le cap symbolique des 2 % de part de marché de l’électrique dans les flottes a été franchi.

Certes la « révolution » a, paradoxalement, adopté un train de sénateur. Début 2019, la part de marché des véhicules thermiques classiques dépassait encore les 94 % dans les flottes d’entreprise françaises. On ne bouge pas en quelques mois des réflexes ancrés depuis des années. Et le rythme des lourds investissements que représentent les achats de véhicules en entreprise ne se modifie pas sur un coup de tête.

Mais certains signes ne trompent pas. C’est d’abord le recul inexorable du diesel dans les flottes qui marque les esprits. Aux dernières nouvelles, la baisse s’est accélérée dans les premiers mois de cette année, la part de marché des véhicules professionnels roulant au gazole ayant chuté à 74 %, soit 13 points perdus depuis 2015. On notera que l’écart a tendance à se creuser entre les voitures particulières (« seulement » 60 % de diesel) et les véhicules utilitaires, qui restent fidèles au gazole à plus de 90 %. L’autre point frappant, c’est la montée de l’électrique. Là encore, les grandes masses bougent doucement mais, avec 17 130 immatriculations de véhicules professionnels 100 % électriques en France en 2018 (soit une hausse de 45 % par rapport à 2017), pour la première fois le cap symbolique des 2 % de part de marché de l’électrique dans les flottes a été franchi.

Plusieurs obstacles à gérer

Malgré leurs besoins spécifiques (en particulier liés à une utilisation intensive qui favorise le diesel), les véhicules d’entreprise n’échappent pas aux grandes tendances de l’automobile du XXIe siècle. L’électrification est inexorable, portée par les obligations environnementales européennes en matière de CO2. Les constructeurs n’ont plus le choix, ils doivent écouler de l’électrique vite et fort pour faire baisser leur moyenne de CO2 par véhicule vendu, faute de quoi de lourdes amendes – plusieurs centaines de millions d’euros – viendront plomber leurs comptes.

Infographie Le Monde

Deux écueils supplémentaires viennent s’ajouter à ce phénomène structurel. Il y a d’abord les difficultés grandissantes qu’éprouvent les constructeurs à se conformer à des normes d’émissions de gaz polluants de plus en plus sévères. Difficultés qui font monter en flèche les coûts de développement pour l’industrie. L’épisode, en septembre 2018, du passage aux nouvelles normes anti-pollution WLTP (repoussé en France à la fin de 2019) a tourné au fiasco pour plusieurs constructeurs et a, en particulier, mis à mal la technologie allemande. Il y a ensuite, localement, des interdictions actuelles et à venir des moteurs diesel (et souvent de tous les moteurs à carburant fossile) dans des zones particulières comme les centres-villes des métropoles, mais aussi parfois dans des zones plus larges, voire dans des pays entiers.

Tout cela explique le profond bouleversement qui s’empare du petit monde des flottes. Les gestionnaires commencent d’ailleurs à penser mobilité globale plutôt que parc automobile. Les nouveaux usages font – modestement – leur apparition dans l’univers un peu conservateur de la voiture en entreprise : autopartage, covoiturage et même l’utilisation de trottinettes électriques professionnelles.