« Gilets jaunes » : un documentaire qui revient sur l’acte III, vu du côté de la police
« Gilets jaunes » : un documentaire qui revient sur l’acte III, vu du côté de la police
Par Catherine Pacary
La chaîne d’informations en continu BFMTV diffuse « Police, au cœur du chaos », fruit de quatre mois d’enquête.
Capture d'écran de « Police, au cœur du chaos », de Natacha Rios et Benoît Serrand (Fr., 2019, 65 min), diffusé sur BFMTV le 7 avril 2019. / BFMTV
Une caméra accrochée à la poitrine, un policier filme un « samedi ordinaire » à Paris. Voiture aux vitres brisées, trottoirs jonchés de projectiles, Velib' abandonné ; en premier plan, la matraque du coureur essoufflé ; devant, des manifestants portant un « gilet jaune », une capuche noire, ou les deux. Pour tenter de comprendre comment la France « a pu en arriver là », alors que le mouvement entre dans son cinquième mois d’existence, BFMTV a décidé de donner la parole aux forces de l’ordre et de se concentrer sur le 1er décembre 2018, pire journée de violences dans la capitale « depuis Mai-68 ».
Les images proviennent majoritairement du pôle magazine de la chaîne d’informations en continu, de vidéos amateurs ou des reporters indépendants.
Les séquences de guérilla urbaine à Paris sont ainsi disséquées sous des angles inédits, révélant par exemple le rôle déclencheur d’un « manifestant éméché » dans l’embrasement survenu à L’Etoile. Ou fixant le désarroi d’une poignée de CRS acculés sous l’Arc de triomphe, avant qu’ils se replient ; un « gilet jaune », Miguel, aide un CRS au sol, sans casque, à s’en sortir.
« Il s’est laissé emporter »
« Ce jour-là, il n’y avait plus de limites », se souvient Natacha Rios, coréalisatrice de « Police, au cœur du chaos » avec Benoît Sarrade, tous deux joints par Le Monde. « Les gens ne réalisaient pas la portée de ce qu’ils faisaient. » BFMTV a eu accès au dossier d’instruction sur le saccage de l’Arc de triomphe. Il révèle, notamment, qu’un des trois jeunes filmés en train d’essayer de défoncer une porte à coups d’extincteur est scolarisé et vient d’avoir son bac. « Il s’est laissé emporter », estime le journaliste.
Le film apporte plusieurs éléments nouveaux, comme le fait que, contrairement à ce qu’a dit le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, « il n’y avait pas deux unités en présence sous l’Arc mais… trois CRS, détachés préventivement », assure Benoît Sarrade, lesquels ont été rejoints ensuite par des renforts pour constituer alors seulement un groupe d’une soixantaine d’hommes, « ce qui n’est rien face à la masse de “gilets jaunes” qui va affluer ».
Les journalistes sont passés par les services de presse de la gendarmerie et de la police, le Sicop et le Sirpa, pour recueillir les témoignages de CRS, de gendarmes anonymes – « on n’avait rien vu venir » –, du commissaire divisionnaire Alexis Marsan, qui pilotait le dispositif le 1er décembre à Paris, et du colonel Michael Di Meo, qui dirige les gardes mobiles intégrés au dispositif.
Les images d’une violence inédite à l’Arc de Triomphe
Durée : 01:49
Sur les 4 000 policiers mobilisés le 1er décembre, 1 700 filtrent l’accès aux Champs-Elysées. D’autres sont affectés à la protection des bâtiments officiels. Cela fait trop d’hommes statiques et pas assez pour réagir.
En salle de commandement, le capitaine Marsan ne sait pas que l’Arc de triomphe est tombé. « J’ai appris par la télévision que des manifestants [y] étaient entrés », reconnaît de son côté le colonel Di Meo. Le défaut de renseignement est patent. A 17 heures, Paris est en situation insurrectionnelle. Un petit groupe de CRS est acculé dans une impasse. L’un d’eux ramasse un pavé pour le renvoyer. Ce geste d’impuissance met mal à l’aise.
La stratégie même de la police est inadaptée. Le commissaire Marsan avait ainsi pour mission de protéger les Champs-Elysées, et non l’Arc de triomphe, ce qui lui permet d’affirmer qu’il a rempli sa mission. « Il n’y a pas eu de mort », ajoute le colonel Di Meo. « Preuve en soi que cela fonctionne a minima », enchaîne Natacha Rios.
Au Puy-en-Velay : « Vous allez tous brûler ! »
Paris n’a pas été le seul lieu d’émeutes le 1er décembre. Au Puy-en-Velay (Haute-Loire), 150 gilets jaunes enfoncent les grilles de l’hôtel de préfecture de région à 12 h 30, protégé par huit CRS. « Vous allez tous brûler ! » Le feu, effectivement mis au bâtiment à 17 h 20, ne sera éteint qu’à 21 heures. Les forces de l’ordre ont fui.
A Narbonne (Aude), ce même jour, les gendarmes abandonnent aussi leurs locaux, situés dans la zone d’activité proche du péage, que les manifestants viennent d’incendier. La gendarmerie, le district Vinci Autoroutes, le garage… 70 % des 40 000 m2 de bâtiments partent en fumée. « Ah le beau gosse ! », entend-on sur les vidéos amateurs « C’est qui le patron ? »
Acte IV
Au matin du 2 décembre, le ministère de l’intérieur prépare déjà le samedi suivant et décide de mobiliser blindés et forces spéciales, les DAR (détachements d’action rapide). Les effectifs sont doublés, portés à 8 000 hommes. Pourtant, les scènes de chaos se reproduisent. A Paris, 246 entreprises et commerces sont dégradés.
D’autres problèmes apparaissent, comme l’absence de coordination. « Le DAR, les CRS et les gendarmes ne s’étaient jamais entraînés avant », explique Benoit Sarrade. « Aujourd’hui on est encore en phase d’apprentissage », ajoute la réalisatrice.
Les méthodes « musclées » des DAR sont controversées, les violences policières montrées du doigt. « Tout est filmé [par les portables], souligne Natacha Rios, le moindre faux pas sera mis au dossier de l’IGPN », la police des polices.
Capture d'écran de « Police, au cœur du chaos », de Natacha Rios et Benoît Serrand (Fr., 2019, 65 min), diffusé sur BFMTV le 7 avril 2019. / BFMTV
« Là, on est sur de la bavure policière »
Le long format donne largement la parole aux « gilets jaunes » frappés ou blessés par les balles des LBD (lanceurs de balles de défense). L’épisode du Burger King au soir de l’Acte III est à ce titre emblématique. Des « gilets jaunes » apparemment non violents s’y retranchent. Une brigade de policiers viendra les déloger à coups de matraque et à coups de pied. Un couple de provinciaux filme tout « Là, on est sur de la bavure policière » : le colonel Di Meo n’élude pas. « Les policiers en étaient alors à leur onzième heure d’intervention », complète le commentaire.
« Impuissance », « impunité », « inédit » : trois mots émergent en boucle. L’impunité apparente envers les frappeurs, les casseurs, même s’« il y a eu des interpellations », rappelle Natacha Rios. L’inédit de la violence, des heurts. L’impuissance visible des forces de l’ordre… Que Benoît Serrand récuse : « Le cadre qui a été fixé [au commissaire Marsan] par le ministre de l’intérieur était de ne faire aucun dégât sur les Champs-Elysées, ce à quoi il pense être parvenu le 1er décembre. » Pour Natacha Rios, « Ils font leur job, malgré tout. »
Comme les deux coréalisateurs, qui ont identifié les « problèmes » du 1er décembre. Ils ne veulent pas, en revanche, se prononcer plus avant sur les « gilets jaunes ». « Il n’y a aucune vision politique » se contente de répéter Natacha Rios. Ni sur l’impact que peut avoir leur film sur un conflit social qui s’est radicalisé et dont on ne voit pas la fin – encore moins après avoir visionné leur documentaire. Dommage. Les services de renseignement annoncent d’ailleurs un « 20 avril difficile ». A suivre sur BFMTV.
Police, au cœur du chaos, de Natacha Rios et Benoît Serrand (Fr., 2019, 65 min).
De la Commune aux « gilets jaunes », pourquoi le maintien de l’ordre est si difficile
Durée : 11:26