« Si Nétanyahou ne reste pas premier ministre, il se retrouvera en tête-à-tête avec les juges »
« Si Nétanyahou ne reste pas premier ministre, il se retrouvera en tête-à-tête avec les juges »
Par Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)
Dans un bureau de vote à Jérusalem, où les électeurs israéliens sont partagés entre le Likoud et la liste Bleu et Blanc conduite par l’ancien chef d’état-major Benny Gantz.
Benny Gantz et Benjamin Nétanyahu, le 9 avril. / NIR ELIAS / REUTERS
La professeure Shoham Choshen-Hillel prend le soleil avec ses deux enfants, exaspérés, en attendant que son mari finisse de voter. Il faut dire que, de bon matin, les électeurs ont afflué à l’école David-et-Paula-Ben-Gourion, dans le quartier de Rehavia, à Jérusalem. Les queues s’étendent dans les couloirs de l’établissement.
Shoham Choshen-Hillel est plus habituée au cadre prestigieux de l’Université hébraïque, où elle enseigne la prise de décision, à l’école de commerce. On lui demande son avis professionnel sur Benyamin Nétanyahou, qui aspire, mardi 9 avril, à un cinquième mandat à la tête du gouvernement. « C’est un bon décisionnaire par rapport à ses convictions, que je ne partage pas. J’ai voté pour Benny Gantz. »
L’ancien chef d’Etat-major, entré en politique il y a seulement quatre mois, conduit la liste Bleu et Blanc. Malgré ses contours idéologiques flous, elle s’est imposée en tête des sondages, dans une bataille furieuse avec le Likoud. C’est dans l’espoir d’une alternance que la professeure âgée de 37 ans, qui a passé une partie de sa vie à Chicago, a décidé de voter utile, pour l’ancien général. « En réalité, mes idées sont plus proches du Meretz [gauche], dit-elle. D’ailleurs, mon mari vote pour eux. » Lui est pédiatre dans l’un des grands hôpitaux de la ville.
La professeure Shoham Choshen-Hillel a décidé de voter utile, pour une alternance, en choisissant le bulletin Bleu et Blanc de Benny Gantz. / P.Sm.
« Il est facile d’effrayer les gens »
Eran Yaalon a l’air un peu perdu. Il vient d’emménager dans le quartier, après avoir vécu dans un kibboutz près du lac de Tibériade, et il cherche son bureau de vote. Spécialiste dans le secteur des biotechnologies, le jeune homme de 34 ans se présente comme « une personne aimant la logique ». La campagne électorale l’a désespéré. « Elle fut digne d’une crèche, faite d’attaques personnelles. Peu de monde s’est focalisé sur les vraies questions qui m’importent, comme le logement, la santé ou l’éducation. Bien sûr, la sécurité prime. Notre situation géopolitique est complexe, et il est facile d’effrayer les gens. C’est pour cela que beaucoup voteront Nétanyahou malgré tous ses manquements, comme les scandales de corruption. »
Eran Yaalon, lui, s’apprête à voter pour les travaillistes, qui ne sont plus le pivot d’une alternance éventuelle. A chaque scrutin ou presque, il change de bulletin. « J’aime donner une chance à chacun de me décevoir ! », dit-il avec humour. Le chercheur regrette que le mot même de « gauche » soit devenu « maudit », comme si la droite seule pouvait répondre aux aspirations sécuritaires. Mais il fustige aussi les opposants qui qualifient les électeurs de droite de « fascistes ». Cette recherche d’équilibre et de réconciliation nationale est revendiquée par Benny Gantz. Eran Yaalon fait la moue. « Il manque de charisme car il est trop habitué à l’armée. L’autorité qu’on y reçoit est naturelle, elle vient de votre rang. Et puis il est très prudent, car il sait qu’il devra bâtir une coalition, s’il obtient le plus de votes. »
Non loin de lui s’avance Moshe Tur-Paz. Il est 42e sur la liste Bleu et Blanc conduite par Benny Gantz, chargé des opérations à Jérusalem. Il connaît ces réserves exprimées par de nombreux électeurs, au sujet du militaire. Il veut croire à une mobilisation des dernières heures, même si les sondages sont officiellement interdits de publication depuis le 5 avril. « On a justement essayé de convaincre les gens que son travail pendant trente-huit ans dans les forces armées importait bien plus qu’un seul jour passé en politique. Ces derniers jours, on a perçu un glissement vers nous d’électeurs de la droite modérée. La question est l’ampleur de ce mouvement. Nétanyahou fait tout pour gagner, car si Bibi [Benyamin Nétanyahou] ne reste pas premier ministre, il se retrouvera en tête-à-tête avec les juges. »
Eran Yaalon, 34 ans, électeur travailliste. / P.Sm.
« Un référendum pour ou contre Nétanyahou »
Ilan et Albina D., un couple d’immigrés originaires de Russie, sont arrivés en Israël il y a vingt ans. Ils représentent parfaitement cette cible évoquée par Moshe Tur-Paz, même s’ils refusent de dire quel bulletin ils ont choisi. Tous les deux employés dans le secteur des nouvelles technologies à Jérusalem, ils soulignent un changement de génération chez les russophones.
« Dans le passé, dit Ilan, on votait massivement pour Avidgor Lieberman [ancien ministre de la défense, démissionnaire en novembre 2018 et affilié à la droite dure]. Mais beaucoup se sont mis à choisir des partis non communautaires ou sectoriels. C’est extrêmement positif, ça montre la forte intégration. » Mais en faveur de quelle liste cela joue-t-il ? Ilan laisse deviner ses sentiments. « Les élections représentent un référendum pour ou contre Nétanyahou. C’est un politicien très fort, présent depuis longtemps. Le point négatif c’est que, avec le temps, les liens avec la bureaucratie deviennent trop forts et conduisent à la corruption, ici comme partout dans le monde. C’est pour cela qu’il est sain de changer. »
Un bureau de vote, lors des élections générales, le 9 avril. / Mahmoud Illean / AP
« J’aimerais quelqu’un d’honnête. Il faut du changement ! »
Chacun ses priorités. Jacques et Claudine Bronstein sont arrivés en Israël il y a quarante-deux ans. Lui est ophtalmologiste, âgé de 82 ans, qu’il porte avec légèreté. Elle est dentiste, de dix ans plus jeune. Ils se rendent au bureau de vote en promenant leur chien. Le couple ne partage pas exactement les mêmes opinions. Jacques Bronstein a voté pour le Likoud lors des deux dernières élections, et compte recommencer. Il se dit plus favorable au parti qu’à son chef de file. Mais « Bibi » compte moins que le pays. « Je pense que la situation économique est bonne, on se sent plus en sécurité qu’en France, nos enfants peuvent sortir la nuit sans la crainte d’être agressé. »
On mentionne les propos de M. Nétanyahou sur une annexion souhaitable des colonies en Cisjordanie. « Cela ne me dérange pas. Je suis pour. Il faut savoir prendre des décisions qui déplaisent mais qui finissent par être acceptées. On ne peut imaginer qu’on puisse forcer ces gens à être évacués. » Il cite alors, comme de nombreux électeurs de droite, le précédent du désengagement de la bande de Gaza, en 2005, et l’évacuation de plusieurs milliers de colons, avant la prise de pouvoir du Hamas deux ans plus tard.
Son épouse, elle, se montre plus critique à l’égard de M. Nétanyahou. « Je pense que ça suffit. j’aimerais quelqu’un d’honnête, de blanc. Il faut du changement ! » Jacques Bronstein intervient : « Moi non plus je n’aime pas ses casseroles. D’ailleurs, il faudrait une loi pour limiter le nombre de mandats. »
Et Benny Gantz, serait-il une alternative crédible ? « C’est un grand soldat, mais on ne devient pas un politicien en quatre mois. Son parti va exploser, avec ces différentes personnalités à sa tête. Et puis, les gens ne comprennent pas l’idée d’une rotation comme premier ministre. » Tel est en effet l’accord passé entre Benny Gantz et son allié, Yaïr Lapid, chef de file du parti Yesh Atid. Mais avant d’envisager une rotation, Bleu et Blanc devra distancer le Likoud dans les urnes. Et avec une bonne marge.