Etudes de kiné : la discrète filière allemande
Etudes de kiné : la discrète filière allemande
Par Isabelle Maradan
Peu sélectives à l’entrée, les écoles de kinésithérapie allemandes proches de la frontière font le plein de jeunes Français.
« Ce serait bien si t’étais kiné », lançait le père de Marie-Emilie Taesch à sa fille, petite, quand il avait mal au dos. Son vœu devrait être exaucé dans deux ans. Depuis avril 2018, la jeune femme de Weyersheim, petite ville alsacienne au nord de Strasbourg, étudie à la Physiotherapie Schule Ortenau (PSO), l’une des écoles privées allemandes préparant au diplôme d’Etat de masseur-kinésithérapeute. L’école est à 45 minutes de chez elle en voiture, et à 10 minutes de Kehl, ville frontalière allemande reliée à Strasbourg par le tramway.
Elle n’est pas la seule à avoir fait ce choix. Dans sa classe, 40 étudiants français ont choisi, comme elle, de traverser le Rhin pour exercer un jour ce métier. Et ont ainsi pris un chemin de traverse, évitant ainsi l’université française et la Paces (première année commune aux études de santé) – un cursus intense qui permet de devenir, selon son classement, médecin, dentiste, pharmacien, sage-femme... ou, depuis 2017, kiné. Pour cette dernière filière, le numerus clausus est de 2 750 places pour toute la France. « C’est la troisième plus grosse filière après médecine et pharmacie », précise Antoine Dugast, président de la Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie (FNEK).
La sélection drastique crée de nombreux déçus, et pousse certains Français à s’expatrier « en Belgique, Espagne, Allemagne et de plus en plus en Roumanie pour devenir kiné », liste Antoine Dugast. Outre la sélection, ce sont aussi les tarifs qui incitent certains jeunes à aller se former ailleurs. En France, si une poignée d’écoles (les IMFK), coûtent moins de 200 euros par an, la plupart proposent des frais plus élevés (la moyenne est de 4 679 euros par an hors IMFK, soit 41 écoles sur les 48, selon les derniers chiffres de la FNEK). En Allemagne, à la PSO, ces études coûtent autour de 5 000 euros par an, mais pour trois ans, et non quatre.
Après son bac S mention bien, Marie-Emilie Taesch s’était inscrite en Paces à l’université de Strasbourg. « J’ai tout de suite compris que la forte concurrence entre étudiants n’était pas pour moi », raconte-t-elle. Après un semestre, elle décide de suivre l’exemple de la fille d’amis de ses parents, qui avait aussi intégré la PSO en Allemagne. Mais elle n’a pas un assez bon niveau en allemand. Pour atteindre une compréhension et une expression courante de la langue de Goethe, la jeune Française décide de suivre six mois de cours dans une école de langue, près de Kehl.
« En Allemagne, on estime que lorsque vous avez la volonté de suivre une formation, votre cursus antérieur ne doit pas vous freiner. Des Allemands, parfois en reconversion, peuvent entrer en écoles de kiné avec l’équivalent du brevet des collèges », raconte l’une des responsables de l’information de PSO. Dans les écoles de la région frontalière, comme la PSO, située à moins de 30 kilomètres de Strasbourg, la part des étudiants français constitue chaque année entre 50 et 90 % des promotions de 120 diplômés.
La plupart de ces Français viennent après un ou deux ans de Paces, comme Marie-Emilie. D’autres ont passé un Abibac et avaient prévu d’emblée de faire leurs études en Allemagne. A la PSO, les cours magistraux ne sont pas retransmis par téléconférence dans de multiples amphithéâtres, comme dans certaines Paces françaises, mais dispensés à des classes de 36 à 38 étudiants. Pour la pratique, les classes sont scindées en deux groupes.
Après un an d’études en Allemagne, Marie-EmilieTaesch prend ses notes dans un mélange de mots allemands et français, dans lequel l’étudiante se repère en toute aisance. Avant de décider si elle va exercer sur l’une ou l’autre rive du Rhin, elle attend de voir ses premiers contacts avec des patients allemands pendant ses stages. « La reconnaissance du diplôme en France est une formalité, explique-t-elle. On étudie les mêmes choses. Comme nous avons seulement six semaines de vacances par an, nous avons plus d’heures de cours en trois ans d’études en Allemagne qu’en quatre en France. »
Marie-Emilie Taesch n’est pas inquiète pour son insertion professionnelle. « Il y a plein d’offres de remplacements en France ou en Allemagne sur un tableau d’affichage au sein de l’école, assure-t-elle. Et on manque de kinés en France pour s’occuper d’une population vieillissante. » Le président de la FNEK le confirme. Chaque année, environ un tiers des nouveaux diplômés inscrits à l’Ordre des kinésithérapeutes en France – ils sont environ 3 600 chaque année – sont diplômés d’un autre pays européen. Marie-Emilie Taesch devrait compter parmi eux en 2021.