Au Soudan, le président Bachir renversé par l’armée
Au Soudan, le président Bachir renversé par l’armée
Plusieurs manifestants affirment craindre que la répression commence à partir de 22 heures, après le début du couvre-feu décrété ce jour par le « conseil militaire de transition ».
A Khartoum, le 11 avril 2019. / AP
Le président Omar Al-Bachir, qui dirigeait le Soudan d’une main de fer depuis trente ans, a été renversé jeudi 11 avril par un coup d’Etat de l’armée, dans le sillage d’un soulèvement populaire, et a été remplacé par un « conseil militaire de transition » qui entend diriger le pays pendant deux ans.
Alors que des scènes de liesse avaient précédé l’annonce du départ de M. Bachir, les meneurs du mouvement de contestation ont rejeté la mise en place d’instances militaires de transition et appelé à la poursuite des manifestations. De telles protestations, qui ont désormais lieu de jour comme de nuit, font peser le risque de violences alors que les nouvelles autorités militaires ont aussi annoncé jeudi un couvre-feu nocturne courant de 22 heures à quatre heures du matin. Un cessez-le-feu a aussi été annoncé à travers le pays, notamment dans les Etats en proie aux rébellions comme le Darfour.
« J’annonce, en tant que ministre de la défense, la chute du régime et le placement en détention dans un lieu sûr de son chef », a déclaré dans une annonce très attendue à la télévision d’Etat, le ministre de la défense, Awad Ahmed Ibn Auf.
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« Nous n’accepterons pas un simple remplacement de Bachir »
Tout au long de la matinée, une immense foule s’était rassemblée dans le centre de la capitale soudanaise, anticipant l’annonce de la destitution du président honni, âgé de 75 ans et au pouvoir depuis un coup d’Etat en 1989.
« Le régime est tombé, le régime est tombé ! », avaient scandé, en brandissant des drapeaux soudanais, ces milliers de manifestants qui campent depuis samedi 6 avril devant le quartier général des forces militaires.
Mais après l’annonce, la joie est finalement retombée. « Les gens ne veulent pas d’un conseil militaire de transition », a déclaré dans un tweet Alaa Salah, l’étudiante devenue depuis quelques jours l’icône du mouvement. « Nous voulons un conseil civil pour mener la transition », a-t-elle ajouté. « Nous ne partons pas. Nous ne partons pas », scandent aussi des manifestants de Khartoum. « Nous ne quitterons pas le site jusqu’à ce que nous emportions la victoire », pouvait-on lire sur une banderole. « Beaucoup de gens étaient venus en famille, croyant qu’ils allaient pouvoir faire la fête (…), mais la plupart repartent désormais. Je sens leur déception », a confié un témoin.
« Les gens sont abattus. Ils semblent sous le choc. Quelques-uns chantent : “Nous n’accepterons pas un simple remplacement d’Al-Bachir” (…) J’ai personnellement l’impression que nous avons passé beaucoup de temps, engagé beaucoup d’efforts, mais le changement que nous voyons est cosmétique », a jugé sous couvert d’anonymat un manifestant joint sur place par Le Monde. Selon cet homme qui, à 34 ans, vit son premier changement de gouvernants, « les gens sont frustrés, ce n’était pas ce que nous attendions. J’ai personnellement l’impression que nous avons passé beaucoup de temps, engagé beaucoup d’efforts, mais le changement que nous voyons est cosmétique. »
Plusieurs manifestants relatent craindre que la répression commence à partir de 22 heures, après le début du couvre-feu décrété ce jour par le « conseil militaire de transition ».
Réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU vendredi
Si les meneurs de la contestation ont obtenu le départ d’Omar Al-Bachir, ils ont, en revanche, rejeté la décision de l’armée de créer un « conseil militaire » pour mener une transition qui s’annonce particulièrement longue : deux ans.
« Le régime a mené un coup d’Etat militaire en présentant encore les mêmes visages (…) contre lesquels notre peuple s’est élevé », a réagi, dans un communiqué, la Déclaration pour la liberté et le changement, tout en appelant le « peuple à continuer son sit-in devant le QG de l’armée et à travers le pays ». A Khartoum, ce vaste regroupement hétéroclite, incluant notamment la coalition Nida Al-Sudan, dans laquelle figurent le parti Umma et plusieurs groupes armés (dont le JEM et le SPLA-Nord), a appelé en cours de journée la population à « ne pas attaquer quiconque ou les biens gouvernementaux et privés ». « Quiconque fera ça sera puni par la loi. Notre révolution est pacifique, pacifique, pacifique », a-t-elle martelé dans un communiqué.
Mais des manifestants ont mené un raid dans un bâtiment du puissant service de renseignement au Soudan (NISS), fer de lance de la répression des manifestations, à Kassala, dans l’est du pays, selon des témoins. L’un d’eux a précisé à l’Agence France-Presse par téléphone que le raid était survenu après le refus d’officiers de relâcher des prisonniers détenus là-bas. Une attaque similaire a été menée à Port-Soudan par des manifestants antirégime, selon des témoins.
Depuis samedi, les manifestants avaient essuyé à plusieurs reprises les assauts du NISS, qui a tenté en vain de les disperser à coups de gaz lacrymogène, selon les organisateurs du rassemblement.
En tout, 49 personnes sont mortes dans des violences liées aux manifestations depuis que ces rassemblements ont commencé en décembre selon des sources officielles.
Mercredi, Washington avait exhorté le pouvoir « à respecter les droits de tous les Soudanais à exprimer leurs doléances pacifiquement ». Les Etats-Unis et les cinq pays européens membres du Conseil de sécurité de l’ONU – France, Royaume-Uni, Allemagne, Belgique et Pologne – ont demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité sur le Soudan. La session devrait se dérouler vendredi.
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