Meilleur défenseur de la NBA l’an passé, Rudy Gobert réalise une nouvelle saison de haut vol. / Adam Hunger / USA TODAY Sports

« C’est un peu l’histoire de ma vie et de ma carrière. Je pense que je ne serai jamais vraiment reconnu à ma juste valeur. » Rudy Gobert a beau avoir contribué à hisser son équipe des Utah Jazz en playoffs NBA – les phases finales de la Ligue nord-américaine de basket – pour la troisième année de suite, il aspire à davantage de reconnaissance. A 26 ans, le Français vogue à contre-courant dans l’univers de la NBA, dernier spécimen d’une espèce en voie de disparition, celle des pivots défensifs dominateurs.

« Aujourd’hui, on ne jure que par l’attaque, constate Rudy Gobert, joint par Le Monde quelque temps avant la fin de la saison régulière, c’est ce qui vend des maillots. » Dans une NBA révolutionnée par la profusion de tirs à trois points, lui a forgé sa réputation de l’autre côté du terrain. La défense.

Cette compétence lui est reconnue par ses pairs, comme en atteste son titre de meilleur défenseur NBA en 2018. « La défense fait la différence au plus haut niveau, soutient-il. En NBA, les attaquants sont hyper talentueux, donc si tu es capable de limiter les équipes adverses, de rogner un peu leur confiance, ton équipe va avoir plus de paniers faciles grâce à la défense. »

Son surnom, « Stifle Tower » (que l’on pourrait traduire par « la tour qui muselle »), donne la mesure de l’impact du pivot français sur le jeu. Avec sa taille (2,15 m) et son envergure (2,36 m), le géant du Jazz gêne considérablement les adversaires. « Je me suis vite rendu compte de l’impact que j’avais sur mon équipe et sur l’équipe adverse en défense, explique le joueur. Donc je me suis dit : “Appliquons ça à chaque match, à chaque minute et à chaque seconde.” »

Fatalisme

L’« intimidateur » (2,3 contres par match) continue de faire évoluer son jeu en défense. Notamment face aux intérieurs qui s’écartent, tendance de la NBA actuelle. « J’ai énormément progressé là-dessus », explique celui qui a été formé à Cholet. Outre un renforcement de sa mobilité – primordiale pour couvrir un terrain élargi par l’évolution du jeu –, il a mis l’accent sur « la réactivité, l’anticipation et l’intelligence ». « Désormais, face à des mecs qui shootent à trois points et essaient de m’écarter, je suis capable à la fois de protéger le panier et d’aller les défendre au large, et les obliger à me driver [partir en dribble], ou en tout cas à ne pas leur laisser un shoot ouvert à trois points. »

Un abattage incessant qui ne suffit pas à lui attirer la reconnaissance du grand public. En début d’année, au vote pour le All Star Game – match voyant s’affronter en février les 24 meilleurs joueurs de la NBA –, Rudy Gobert n’a récolté que 196 000 voix, loin derrière d’autres pivots moins efficaces que lui – mais évoluant dans de plus grandes villes. « Que dois-je faire de plus ? », interroge, fataliste, le joueur, stimulé par ce manque de reconnaissance.

Mais le Français, qui signe la meilleure saison de sa carrière, n’est plus uniquement la clé de voûte défensive des Utah Jazz. Il est également primordial en attaque. Cette saison, c’est même là qu’il a eu le plus d’impact sur son équipe. « Rudy est notre joueur offensif le plus important », appuie le manageur général de l’équipe, Dennis Lindsey. Mais son activité passe souvent sous le radar des fans, accoutumés à regarder le basket par le biais des feuilles de stats.

« Pas impossible d’aller au bout »

« Les gens ont tendance à ne regarder que les points inscrits ou les passes décisives, alors que c’est bien plus vaste que ça », regrette le joueur, qui tourne à une moyenne de 15,9 points inscrits par match. Cet « impact en attaque n’est pas toujours visible, prolonge l’entraîneur Quin Snyder. Mais ce que Rudy fait permet de maximiser l’impact des autres joueurs sur le terrain ». « C’est surtout par les écrans que je pose, par le fait que, chaque fois que je coupe au panier, forcément les mecs doivent venir sur moi, et ça libère des shoots pour les autres », détaille Rudy Gobert. Sans oublier les fautes qu’il provoque.

A compter de dimanche 14 avril, quand s’ouvriront les playoffs, le Français devra jouer juste pour mener les Utah Jazz à la victoire. Cinquièmes de la saison régulière en conférence Ouest (la NBA est divisée en deux sections géographiques), ils seront opposés aux Houston Rockets au premier tour de la phase finale. Une franchise qui les avait éliminés en 2018, en demi-finale de conférence.

L’impact défensif de Rudy Gobert est désormais reconnu en NBA. / Chris Nicoll / USA TODAY Sports

« Il n’y a pas une seule équipe qu’on ne peut pas battre quatre fois sur sept matchs, estime la tour de contrôle du Jazz. La route est longue et pleine d’embûches. Mais si on se met en tête qu’on peut y arriver, qu’on reste soudés et qu’on défend bien, ce n’est pas impossible d’aller jusqu’au bout. »

Porter son équipe sur ses larges épaules, et obtenir un second trophée de meilleur défenseur de l’année consécutif : le programme de Rudy Gobert est tracé. Ensuite, il entend se projeter vers la Coupe du monde (du 31 août au 15 septembre) en Chine, avec l’équipe de France.

« Roi » du dunk

Reine des actions au basket, le dunk est la figure la plus appréciée des fans. Et Rudy Gobert est son roi. Fin mars, le pivot du Jazz a effacé le record de dunks écrasés par un joueur en une saison (306, contre 269 pour la précédente marque) depuis que la NBA les comptabilise (2000-2001). « C’est le geste le plus efficace », tranche le joueur, insistant sur l’aspect collectif d’un tel record plutôt que sur l’accomplissement personnel. « Mes coéquipiers me trouvent beaucoup mieux, et le coach insiste pour qu’ils me mettent la balle en l’air et au bon endroit. »  Gobert s’amuse des critiques laissant entendre qu’il ne saurait que dunker. « Bien sûr, c’est plus facile quand tu fais 2,15 m que 1,80 m, souffle-t-il. Et je pourrais faire des lay-ups [double pas] pour faire plaisir aux puristes. Mais le dunk a plus d’impact psychologique ! »