Au Mali, la difficile mission du nouveau premier ministre Boubou Cissé
Au Mali, la difficile mission du nouveau premier ministre Boubou Cissé
Par Cyril Bensimon
Le chef du gouvernement, qui tenait jusque-là le portefeuille de l’économie et des finances, devra en premier lieu apaiser la situation sécuritaire au centre du pays.
Ministre de l’économie et des finances, Boubou Cissé a été nommé premier ministre le 22 avril 2019. (Photo officielle de la primature malienne). / DR
Le changement de personnalité, avec l’arrivée de Boubou Cissé à la primature, peut sembler radical. Mais préfigure-t-il pour autant une nouvelle orientation politique au Mali ? A la veille du vote d’une motion de censure qui n’aurait pas manqué de l’emporter, Soumeylou Boubèye Maïga s’était évité une humiliation publique en rendant son tablier de premier ministre dans la soirée du 18 avril.
Confronté à la fronde des députés de l’opposition, mais aussi à la défiance des élus du parti présidentiel, le Rassemblement pour le Mali (RPM), en conflit ouvert avec les centrales syndicales et une partie des dignitaires religieux du pays, le « Tigre », comme aiment à le surnommer ses proches, ne pouvait éviter la sanction. Le massacre d’au moins 160 membres de la communauté peule à Ogossagou le 23 mars avait consacré l’échec de son Plan de sécurisation intégrée des régions du centre, où, selon les Nations unies, au moins 600 personnes ont été tuées depuis janvier. Les manifestations de masse qui, le 5 avril, envahirent les rues de Bamako furent le coup de grâce pour celui que nombre d’observateurs imaginent déjà se préparer à la succession du chef de l’Etat en 2023.
Les réseaux français et algériens qu’il cultive, l’entregent dont il fait preuve, le sens de la manœuvre politique de cet ancien journaliste passé par la tête des services de renseignement avant de servir tous les présidents élus depuis la chute de la dictature de Moussa Traoré et de contribuer largement en 2018 à la réélection contestée d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) ne purent servir de protection suffisante. « La situation sociopolitique était intenable. Le président était dos au mur. Soit il continuait de soutenir son premier ministre et plongeait avec lui, soit il en changeait et sauvait son régime », explique une source au palais de Koulouba pour situer le niveau d’urgence.
Quatre jours donc après cette démission devenue inévitable, le chef de l’Etat malien a nommé, lundi 22 avril, le ministre sortant de l’économie et des finances, Boubou Cissé, au poste de premier ministre, avec pour première mission de former un gouvernement de « large ouverture ». Une semaine plus tôt, IBK avait assuré, lors d’une allocution radiotélévisée, avoir « entendu toutes les colères, décodé tous les signaux, compris tous les messages remontant » du pays.
« Assurer une continuité »
La source à la présidence précédemment citée dément pourtant toute volonté de rupture franche. « Il fallait assurer une continuité dans la relation avec les partenaires internationaux, le processus de paix et le processus électoral. Boubou Cissé était celui qui avait la plus grande mémoire de tout cela, la meilleure connaissance des dossiers », relate-t-elle pour justifier le choix porté sur celui qui, dès 2013, année de l’élection d’IBK, fut nommé au ministère de l’industrie et des mines, avant de prendre celui de l’économie et des finances début 2016.
A en croire cette source, le fait que le nouveau premier ministre soit peul et originaire du centre du pays, dans le contexte de tension actuel, n’a pas été déterminant. « Il est travailleur et apolitique, ce qui peut éviter des guéguerres entre les partis alors que nous avons devant nous une année électorale avec un référendum constitutionnel, des législatives, des régionales et peut-être des sénatoriales, à organiser. Il aurait pu s’appeler Traoré [un nom bambara], cela n’aurait rien changé », dit-elle pour expliquer cette nomination.
Reste qu’avant même la formation d’un nouveau gouvernement, Boubou Cissé subit ses premières contestations. Certains s’interrogent sur les capacités de cet économiste de 45 ans au profil de technocrate, passé par la Banque mondiale après ses études universitaires en France, à gérer les questions sécuritaires d’un pays qui peine à regagner son autorité dans ses régions du nord et perd progressivement le contrôle de son centre.
Sur le front politique, aucun état de grâce n’est par ailleurs à attendre. Le RPM a mal digéré de se voir une nouvelle fois oublié au moment du choix d’un nouveau premier ministre. Quant à l’opposition, elle ne voit dans ce changement qu’« un coup de com » du pouvoir. « La présidence tente de le faire croire, mais nous n’avons été ni informé ni consulté », dénonce Soumaïla Cissé, le chef de file de l’opposition, avant de relater sa dernière entrevue avec IBK : « J’ai rencontré le président samedi à sa demande et il ne m’a pas un seul instant parlé du premier ministre. Il m’a demandé de lui envoyer une liste de noms pour entrer au gouvernement. Ce à quoi je lui ai répondu qu’il fallait au préalable un accord politique. Il a promis de me rappeler, mais ne l’a jamais fait », raconte celui qui était arrivé en seconde position lors de la dernière présidentielle et qui, faute d’alternative, se dit prêt à « donner le bénéfice du doute » au nouveau premier ministre.