« L’Adieu à la nuit » : André Téchiné filme avec grâce l’élan aveugle de la jeunesse
« L’Adieu à la nuit » : André Téchiné filme avec grâce l’élan aveugle de la jeunesse
Par Mathieu Macheret
Le long-métrage, qui voit un jeune homme tenté par le djihad s’opposer à sa grand-mère, sonde la rupture entre les générations.
Après un drame historique en demi-teinte quelque peu décevant (Nos années folles, 2017), André Téchiné, 76 ans, l’un des plus fins et généreux conteurs du cinéma français, revient comme ragaillardi avec un nouveau film, qui non seulement renoue avec des motifs familiers de son cinéma (les étendues de son Sud-Ouest natal, les affres d’une jeunesse prenant la tangente, la présence de Catherine Deneuve, sa comédienne fétiche), mais délivre aussi sa propre variation sur un sujet d’actualité brûlant, rendu parfois difficilement audible par le tumulte médiatique. Inspiré par le recueil d’entretiens Les Français jihadistes (Les Arènes, 2014), du journaliste David Thomson, le film se penche sur la radicalisation religieuse de jeunes gens pas forcément défavorisés, parfois même bien intégrés, et sur la volonté aussi farouche que déroutante qui pousse certains d’entre eux à partir faire la guerre en Syrie.
Muriel (Catherine Deneuve), femme à poigne et d’expérience, dirige avec son associé, Youssef (Mohamed Djouhri), un centre équestre flanqué d’une somptueuse cerisaie. Elle reçoit, pour quelques jours de vacances, son petit-fils, Alex (Kacey Mottet Klein, révélé par Téchiné dans Quand on a 17 ans, en 2016), avant qu’il ne parte s’installer définitivement au Canada avec sa petite amie, Lila (Oulaya Amamra), aide-soignante et familière du centre. Mais, une fois sur place, le jeune homme montre des signes d’impatience et de repli. Converti depuis peu à un islam rigoriste, il manigance un départ secret pour la Syrie, en trio avec Lila, qui doit devenir sa femme, et leur jeune imam, Bilal (Stéphane Bak), dans l’espoir d’y vivre et d’y combattre en accord avec leur foi. Pour mener à bien ce plan leur manque encore une somme rondelette qu’Alex subtilise dans les caisses du centre équestre, au risque d’alerter sa grand-mère sur ses activités clandestines.
Mur d’illusions
Bien loin de retracer le mécanisme d’endoctrinement au djihad, comme avait pu le faire Philippe Faucon avec La Désintégration (2011), L’Adieu à la nuit sonde plus intimement le gouffre, la rupture aveugle, entre des générations dont les aspirations ont fini par différer. Entre une aïeule dont l’accomplissement a pris la forme d’une entreprise maison (le centre équestre) et un petit-fils en quête d’une pureté morale et spirituelle le conduisant à rejeter en bloc ses origines, c’est tout un relais d’identification qui ne fonctionne plus. Fidèle au vœu romanesque du cinéma de Téchiné, le film alterne, par un montage fluide, les points de vue de la jeunesse et de la maturité, chacune reconsidérant son propre reflet dans le regard de l’autre. Le cinéaste laisse du champ à ses personnages comme à leurs contradictions, les observe dans leurs démarches comme dans leurs dévoiements : quand, par exemple, Lila en vient à justifier religieusement le vol de Muriel, ou qu’Alex considère comme une « chance » le destin des martyrs.
La beauté et la pertinence du film tiennent d’abord à ce qu’il ne cherche pas à expliquer le désir de djihad des trois jeunes personnages : fragilité psychologique, perte d’un parent, addiction à Internet, mauvaise conscience, soif d’idéal, rejet de la société matérialiste, apparaissent comme autant de causes possibles, mais jamais suffisantes en elles-mêmes. Evitant ainsi les écueils du didactisme ou de l’exposé social, le questionnement du film passe avant tout par la mise en scène, dont la mobilité souple (les prises de vues admirablement filées du chef opérateur, Julien Hirsch) accompagne la fuite en avant ou le chassé-croisé affectif des protagonistes. La caméra fait du mouvement son point d’interrogation : qu’est-ce qui meut Alex et ses amis ? Après quoi courent-ils ? Quel motif caché, quel désir morbide ? A travers ces questions, Téchiné trace un sillon bien connu de son cinéma, qui consiste à filmer la jeunesse dans ses élans, fussent-ils incohérents ou irrationnels, car ils définissent sa beauté propre. Mission réussie avec L’Adieu à la nuit, qui ne nous demande ni d’admirer ni de honnir ses jeunes héros en déshérence, mais d’observer simplement, et avec attention, le mur d’illusions dans lequel ils foncent.
L'ADIEU A LA NUIT d'André Téchiné : BANDE-ANNONCE - le 24 avril au cinéma
Durée : 01:41
Film français d’André Téchiné. Avec Catherine Deneuve, Kacey Mottet Klein, Oulaya Amamra, Stéphane Bak (1 h 43). Sur le Web : www.advitamdistribution.com