« 90’s » : le doux éclat d’une nostalgie californienne
« 90’s » : le doux éclat d’une nostalgie californienne
Par Thomas Sotinel
Le réalisateur Jonah Hill célèbre l’hédonisme d’une bande d’ados, entre skate et hip-hop.
La génération qui vient de passer le cap de la trentaine se sentira emplie d’un sentiment de maturité inédit en découvrant 90’s. La bonne nouvelle que leur apporte l’un des leurs, Jonah Hill (né à Los Angeles, aux derniers jours de 1983), est la suivante : vous aussi avez droit à la nostalgie. Chronique d’un début d’adolescence dans les rues de Los Angeles, au temps où les dieux du hip-hop s’appelaient A Tribe Called Quest ou The Pharcyde, 90’s ne doit pas qu’un peu de son charme indéniable à ce sentiment stupéfiant qui baigne chaque plan : c’est fini, rien ne remplacera la perfection de ces journées passées à parler pour ne rien dire entre amis, à glisser sur une planche au mépris des automobiles et des piétons, à tout faire pour la première fois.
Mais Jonah Hill, acteur cantonné dans les rôles comiques auxquels le destinait sa corpulence, entreprend sa carrière de réalisateur avec la volonté de fer et le discernement qui ont récemment distingué son parcours à l’écran. Aminci, il a décroché des rôles chez Scorsese, les Coen ou Tarantino. Et la mise en scène de sa célébration de l’hédonisme adolescent est empreinte d’une rigueur qui compense les facilités du récit.
A 13 ans, Stevie (Sunny Suljic) reste un enfant par la taille et la voix. Il vit avec sa mère (Katherine Waterston) et sa brute de frère aîné (Lucas Hedges), jusqu’au jour où le spectacle d’une bande d’ados faisant tourner en bourrique un boutiquier décide de sa vocation : il sera skateur comme eux.
LA, terrain de jeu terrifiant
Dans la petite bande, Jonah Hill aligne les stéréotypes : Fuckshit, le gosse de riche enclin à l’autodestruction, Ray, le virtuose de la planche, afro-américain, un peu plus âgé, dispenseur de sagesse, Fourth Grade, qui n’a pas inventé l’eau tiède et qui suit le groupe armé d’une caméra vidéo. Cependant, on le voit, ce stéréotype est subverti en une observation intéressante sur les qualités nécessaires à l’exercice de la mise en scène. Il incombe aux jeunes acteurs, pour la plupart débutants, de sortir les autres personnages de la banalité : soutenus par le regard bienveillant mais lucide de Jonah Hill, ils y parviennent souvent.
Les situations aussi (de l’apprentissage laborieux du skateboard à la première expérience érotique) prennent un éclat doux, atténué par le smog de Los Angeles. Jonah Hill et son directeur de la photographie filment (en 16 mm, en format 4/3) la mégapole comme un terrain de jeux terrifiant et merveilleux.
Et puis, il y a la musique. On trouvera sur les sites de streaming des compilations reprenant les titres qui nourrissent les pulsions des personnages : les derniers éclats du grunge et de son sillage (Nirvana, Pixies) pâlissent doucement sous la lumière aveuglante du hip-hop qui s’apprête à devenir hégémonique. La plus excitante transgression que peut commettre Stevie reste de fouiner dans les CD de son frère. C’était un autre âge.
90's - Écrit & réalisé par Jonah Hill
Durée : 01:39
Film américain de Jonah Hill. Avec Sunny Suljic, Lucas Hedges, Katherine Waterston (1 h 24). Sur le Web : diaphana.fr