« Nous avons les moyens d’en finir avec le paludisme »
« Nous avons les moyens d’en finir avec le paludisme »
Par Olivia Ngou
A l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le paludisme, Olivia Ngou, de l’ONG Impact Santé Afrique, estime qu’il faut intensifier le combat contre la maladie.
Un moustique anophèle femelle, vecteur du paludisme, injecte à l’homme le parasite de la maladie. Ici, en novembre 2015. / Handout / REUTERS
Tribune. Je devais avoir 3 ans lorsque j’ai contracté le paludisme pour la première fois, mais je n’oublierai jamais lorsque j’ai été frappée de nouveau, à l’âge de 8 ans. J’entendais des voix et tout résonnait très fort dans ma tête. J’ai ensuite rencontré dans ma ville des personnes rendues infirmes à cause du paludisme. Je n’aurais jamais pensé qu’une simple piqûre de moustique pouvait avoir de telles conséquences. Depuis, je n’ai cessé de me battre contre ce fléau.
D’immenses progrès ont été réalisés entre 2000 et 2015, quinze années au cours desquelles la mortalité liée au paludisme chez les enfants de moins de 5 ans a diminué de moitié sur le continent africain. Mais, aujourd’hui, la maladie connaît une recrudescence inquiétante, du fait surtout de la résistance aux antipaludiques et aux insecticides, et de la prolifération de faux médicaments. Nous avons pourtant les moyens d’en finir avec le paludisme. Voici quatre propositions.
Impliquer les acteurs communautaires
En Afrique, le paludisme est par excellence une maladie que l’on soigne d’abord en communauté, avec des remèdes maison, la médecine traditionnelle ou encore via le vendeur de médicaments de rue. La maladie est tellement présente qu’elle est parfois banalisée. Ce n’est que lorsque la fièvre ne diminue pas que l’on se résout à aller dans un centre de santé, qui se trouve généralement à des heures de marche en zone rurale.
Cet isolement est un facteur de progression de la maladie. C’est pourquoi le déploiement d’agents de santé communautaire dans chaque village est essentiel pour prévenir et éliminer la maladie. Ces volontaires rapprochent les services de santé au plus près des communautés isolées et garantissent l’accès à des médicaments fiables. Leur travail est remarquable. On estime ainsi qu’au Cameroun, 70 % des cas de paludisme ont été rapportés par les agents de santé communautaire contre 30 % par le secteur public en 2018. Pour accélérer la lutte contre la maladie, il est impératif de renforcer leur action en les associant à l’élaboration des politiques publiques de santé en tant qu’acteurs, et non plus en tant que simples prestataires de services.
Soutenir la recherche
Les outils dont nous disposons aujourd’hui ont permis de faire de la lutte contre le paludisme l’un des plus grands succès du XXIe siècle. Les campagnes de distribution de moustiquaires financées par le Fonds mondial et ses partenaires, couplées aux tests de diagnostic rapide, ont fortement contribué à freiner la maladie et à sauver des millions de vies. Des moustiquaires nouvelle génération seront distribuées très prochainement au Burkina Faso pour contrer la menace grandissante de la résistance aux insecticides. Les recherches en cours, telles qu’un traitement concentré en un seul comprimé au lieu de trois actuellement, les organismes génétiquement modifiés comme mesure complémentaire de lutte antivectorielle ou encore l’émergence possible d’un vaccin, portent de belles promesses.
Agir à l’échelle du continent
Eliminer le paludisme dans un pays est un accomplissement certain, mais insuffisant dans le cadre d’un combat contre une pandémie qui demeure par définition transfrontière du fait des mouvements de populations. Pour éviter que la lutte ne se transforme en mythe de Sisyphe, il faut envisager un combat commun à l’échelle du continent et inviter les pays africains à redoubler d’efforts pour investir dans la santé de leurs communautés.
Intégrer l’élément culturel
Il existe encore certaines croyances et normes socioculturelles qui nuisent au combat contre la maladie. Ainsi, la moustiquaire garderait la chaleur et serait associée à la mort. Dans les zones reculées, la santé des femmes passe souvent au second plan. Elles sont en charge des tâches ménagères et des enfants et, dans certains cas, n’ont pas les moyens financiers de se rendre dans un centre médical. Or, les femmes enceintes sont l’une des populations les plus vulnérables au paludisme. A l’image de la lutte contre le sida, la société civile pourrait jouer un rôle crucial et demander la prise en compte des normes socioculturelles dans l’élaboration des programmes. Ceci impliquerait une forte participation et appropriation des communautés, chefs communautaires, religieux et traditionnels dans l’élaboration des stratégies afin de garantir le progrès.
C’est dans cette perspective que nous avons créé le CS4ME, le premier réseau mondial de communautés et d’organisations de la société civile pour l’élimination du paludisme, qui vise à promouvoir des programmes plus inclusifs, efficaces, axés sur les communautés et fondés sur les droits sociaux et les droits humains.
On peut prévenir et guérir le paludisme. Il est donc inacceptable que cette maladie, vieille de cinquante millénaires, tue encore un enfant toutes les deux minutes. Chaque jour, je suis témoin des progrès concrets que nous réalisons et cela forge ma motivation à continuer le combat. L’élimination est possible. Surtout, ne relâchons pas nos efforts.
Olivia Ngou est la fondatrice et directrice exécutive de l’ONG Impact Santé Afrique. Elle est également membre du premier réseau mondial de la société civile pour l’élimination du paludisme (CS4ME) et du Partenariat Roll Back Malaria.