Oriol Junqueras a été élu député, alors que le parquet a requis contre lui vingt-cinq ans de prison pour son rôle dans la tentative de sécession de la Catalogne en 2017. / Enrique Calvo / REUTERS

Tous sont détenus et jugés actuellement à Madrid pour leur rôle dans la tentative de sécession de la Catalogne en 2017. Mais cela n’a pas empêché ces cinq séparatistes catalans d’être élus, dimanche 28 avril, lors des élections espagnoles remportées au niveau national par les socialistes.

Parmi ces prisonniers députés, figure notamment l’ancien vice-président de cette région du nord-est, Oriol Junqueras, principal accusé du procès qui a débuté le 12 février dernier. A son encontre, le parquet a requis vingt-cinq ans de prison. L’homme a pourtant été élu député en tant que leader du parti de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), tandis que Raul Romeva, ancien responsable régional des affaires étrangères, a été élu sénateur sous la même étiquette.

Trois autres séparatistes détenus ont été élus : Jordi Sanchez, Jordi Turull et Josep Rull, membres de l’autre grand parti indépendantiste, Ensemble pour la Catalogne, de l’ancien président catalan Carles Puigdemont. Ce dernier s’est enfui en Belgique en octobre 2017 pour échapper aux poursuites de la justice espagnole.

« Victoire historique » des indépendantistes

Cette élection a été de nouveau l’occasion pour les partis indépendantistes catalans de marquer leur montée en puissance. La formation d’Oriol Junqueras a obtenu le meilleur score en Catalogne avec 15 sièges et plus d’un million de voix – devançant ainsi le Parti socialiste, malgré sa victoire à Barcelone. Le parti Ensemble pour la Catalogne a obtenu lui 7 sièges, dans un scrutin marqué localement par une forte hausse de la participation (+ 18 % par rapport à 2016).

Ces 22 postes parlementaires – sur les 350 que compte la Chambre des députés – pourraient avoir un rôle-clé dans les tractations en vue de la constitution d’une future majorité. Si le socialiste Pedro Sanchez a gagné les élections, il est en effet loin d’avoir obtenu la majorité absolue. Et la presse espagnole ne manque pas de souligner cette position de force, qualifiant, à l’image du quotidien catalan La Vanguardia, le résultat des partis indépendantistes de « victoire historique ».

Pourrait-on voir des négociations entre le PSOE et les indépendantistes ? Déjà, pendant la campagne, les deux partis catalans avaient fait part de leur volonté d’établir un dialogue avec le parti socialiste de Pedro Sanchez. « Une stratégie pragmatique qui marquait un tournant, notamment pour le parti Ensemble pour la Catalogne, qui considérait avant comme préalable à toute discussion l’accord pour un référendum d’autodétermination », rappelle le journal catalan El Periodico.

Un gage de bonne volonté à nuancer toutefois, puisque Pedro Sanchez lui-même avait dit, au dernier jour de la campagne, qu’il ne faisait pas confiance aux indépendantistes et que « le gouvernement ne pouvait pas compter sur certains partis qui ont conduit à l’effondrement de la Catalogne ». Nul doute que le Parti socialiste essaiera ainsi de trouver une autre alliance en vue de gouverner, sans avoir à se prononcer sur la question d’un nouveau référendum d’autodétermination catalane dans l’immédiat.

« Nous ne donnerons pas de chèque en blanc à Sanchez », a d’ailleurs prévenu lundi matin le républicain Gabriel Rufian, numéro deux de l’ERC au Congrès, à Catalunya Ràdio. « La question n’est pas de savoir ce que l’ERC fera avec le PSOE, mais ce que le PSOE fera avec la Catalogne », a expliqué le nouvel élu.

« Ce n’était pas un jour pour les nuances »

Dès lors, c’est surtout l’ascendant pris par la formation d’Oriol Junqueras sur celle de Carles Puigdemont qui est analysé par la presse espagnole au lendemain du scrutin. « J’aimerais un jour perdre un sondage et gagner une élection », avait plaisanté le candidat Gabriel Rufian avant le début de la campagne électorale. Son vœu a été plus qu’exaucé, souligne le site d’informations El Diario : « Ce n’était pas un jour pour les nuances mais pour les proclamations », note le site, parlant du fait que « le mot hégémonie a été l’un des plus prononcés dimanche soir au siège de l’ERC ».

Pour le quotidien El Pais, cette réussite d’ERC tient à leur « appel au dialogue lancé pendant la campagne », tandis qu’Ensemble pour la Catalogne « n’a pas réussi à séduire les nouveaux électeurs avec un discours qui a parfois semblé contradictoire ». « Avec ce résultat, la voix de Puigdemont, qui a imposé la candidature de ses associés au Congrès et ouvert une crise au sein du parti, peut ne plus être aussi décisive », analyse le premier quotidien national, qui n’hésite pas à parler de « perte de leadership au sein de la formation ». « La participation intense de Puigdemont à la campagne, ainsi que les interventions régulières des candidats prisonniers par vidéoconférence ont seulement réussi à cautériser une plaie qui menaçait d’une hémorragie encore plus importante », écrit le quotidien, qui prédit des changements dans la direction du parti, voire la création d’un « nouveau parti indépendant, plus pragmatique ».

Le journal La Razon prédit aussi des semaines difficiles à Carles Puigdemont, alors que l’ancien homme fort de la Catalogne doit diriger la tête de liste du parti séparatiste catalan pour les élections européennes du 23 au 26 mai. « Si le parti a évité une débâcle humiliante comme le prévoyaient la plupart des sondages, ils essuient tout de même une défaite retentissante », note le quotidien. Selon les dernières projections, la formation de l’ancien leader indépendantiste catalan n’aurait aucun élu au Parlement européen, tandis que la coalition à laquelle participe ERC remporterait trois sièges.

Mais « si Oriol Junqueras a pris le contrôle du mouvement indépendantiste, il n’a pas pu enterrer Carles Puigdemont », rappelle El Mundo, qui note qu’Ensemble pour la Catalogne n’a finalement perdu qu’un siège par rapport aux élections de 2016.