Emery Jacquillat : « Le capitalisme responsable, c’est le capitalisme qui a tout compris »
Emery Jacquillat : « Le capitalisme responsable, c’est le capitalisme qui a tout compris »
Par Julia Zimmerlich
Intervant dans le cadre des Rencontres économiques et sociétales d’Occitanie (RESO), le mardi 14 mai 2019, à Montpellier, le PDG de la Camif rend compte des avantages du statut innovant d’« entreprise à mission » comme la sienne.
Emery Jacquillat, le patron de la Camif, à Paris, le 15 novembre 2016. / OLIVIER LEJEUNE / PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP
La Camif, vendeuse en ligne de meubles et de linge de maison, fait partie des premières « entreprises à mission ». Défini par la loi Pacte, ce statut consacre la notion d’intérêt social et ouvre la voie à une nouvelle vision de l’entreprise. Son PDG, Emery Jacquillat, a devancé tout le monde en faisant modifier les statuts de son entreprise dès novembre 2017.
Le capitalisme tel qu’on l’a connu vit-il ses dernières heures ?
Je ne peux pas le prédire, mais il est certain qu’il y a un modèle qui doit naître, et vite : un modèle d’entreprise plus contributrice avec une économie plus locale, plus inclusive, plus circulaire. Le chantier est énorme, il faut tout réinventer : le management, le modèle d’affaire, le cœur de l’offre… Nous n’avons plus le choix, il faut rendre nos activités soutenables sur le plan social et environnemental.
Est-ce que la transition sera douce ? Je ne le crois pas. Il y a aura des entreprises, des territoires et des régions qui seront incapables de s’adapter. Seules les entreprises les plus agiles et qui sauront utiliser le numérique seront encore là dans vingt-cinq ou cinquante ans. Les actionnaires visionnaires auront vite compris que pour continuer à faire du profit il faudra miser sur des entreprises à impact positif. Le capitalisme responsable, c’est le capitalisme qui a tout compris.
Est-ce que vous restez optimiste pour la suite ?
Oui. Il y a chez de nombreux chefs d’entreprise et les collaborateurs cette soif de donner du sens. La prise de conscience collective s’est opérée dans les deux dernières années avec l’arrivée de Trump au pouvoir et la sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris, la multiplication des rapports scientifiques alarmistes et plus récemment la démission de Nicolas Hulot. Les politiques ne savent plus faire ; c’est à nous de faire. L’entreprise « à mission » arrive à ce moment de notre histoire, pour réussir à pousser les entreprises à prendre des engagements qui se traduisent par des objectifs concrets et mesurables sur les enjeux sociaux et environnementaux.
Comment le numérique peut-il aider les entreprises à prendre ce tournant ?
Tous les deux ans, on double le nombre de publications, de connaissances accessibles partageables par l’humanité. La donnée et l’intelligence sont désormais accessibles à toutes les entreprises. Je prends l’exemple de l’application Yuka, qui permet de scanner les produits alimentaires et d’évaluer leur impact sur la santé. L’application utilise la base de données Open Food Facts. Demain l’intelligence artificielle sera accessible de la même manière. Tout l’enjeu est de se saisir de cette richesse d’informations pour la traduire en valeur économique, sociale et environnementale pour relever les défis.
La Camif est l’une des deux premières entreprises françaises à s’être dotées dans leurs statuts d’un « objet social étendu », « au bénéfice de l’homme et de la planète ». Comment y arriver quand on vend des meubles et des objets de décoration ?
Demain on achètera mieux mais moins. Nous devons redonner de la valeur aux objets qui nous entourent. En 2017, quand nous avons défini nos objectifs, nous avons compris qu’on n’y arriverait pas en posant simplement notre cahier des charges sur la table des fabricants. Nous avons organisé un « Camifathon » pour réunir designers, consommateurs, fabricants et experts en économie circulaire.
De ces trois jours d’ateliers participatifs sont nées des collaborations, parfois entre des entreprises concurrentes, pour créer notre propre marque d’objets fabriqués à partir de déchets (canapés en tissus recyclés, matelas en matières recyclées, etc.). Pour nous, c’est un changement complet de métier. Nous passons de distributeur à éditeur de meubles. Les chefs de produit deviennent des chefs de projets. C’est passionnant pour les équipes.
Le numérique permet aussi une meilleure information du consommateur. Sur chaque fiche produit nous donnons le pays de fabrication, la liste des composants, des informations sur le fabricant… Nos enquêtes montrent que les clients veulent en savoir plus. Est-ce que les salariés sont heureux ? Est-ce que l’entreprise paye ses impôts en France ?
Cette transparence de l’information et la traçabilité des produits sont nécessaires pour rétablir la confiance dans les marques et permettre aux consommateurs de faire un choix éclairé. Cette révolution, on la mène à notre petite échelle. Quand on décide de fermer notre site le jour du Black Friday, cela a un impact fort dans notre écosystème. Ce qu’on est en train de faire, je pense qu’on peut le faire dans tous les métiers.
Le programme RESO 2019
Les 1res Rencontres économiques et sociétales d’Occitanie (RESO) se tiendront mardi 14 mai 2019, de 9 heures à 17 h 30, au Corum de Montpellier, place Charles-de-Gaulle, 34000 Montpellier. Entrée libre sur inscription (laregion.fr/reso2019#Inscriptions).
Conférences, tables rondes et retours d’expériences exploreront le futur de l’emploi, des métiers et du travail à l’heure de la transformation numérique.
Tout au long de la journée, ouverte par Carole Delga, présidente de la région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée, se succéderont :
– des dirigeants d’entreprises : Fabienne Dulac, (PDG Orange France), Nicolas Sekkaki (CEO IBM France), Pascal Demurger (PDG MAIF), Chantal Genermont (directrice du numérique d’Enedis) ;
– des acteurs de la recherche et de l’enseignement : Isaac Getz (ESCP Europe), Patrice Flichy (université Paris-Est-Marne-la-Vallée), Anne Lalou (Web School Factory), Jean-Patrick Respaut (université de Montpellier) ;
– des acteurs de l’économie sociale et solidaire : Laurence Grandcolas (MySezame), Jean-Louis Kiehl (Fédération française des associations Crésus), Léa Zaslavsky (Makesense) ;
– des acteurs de l’emploi et de la vie économique : Fabienne Arata (LinkedIn France), Alain Roumilhac (Manpower France), Camille Morvan (Goshaba), Bruno Grandjean (Alliance industrie du futur) ;
– des start-up de la région Occitanie.
En conclusion, conférence d’Etienne Klein sur « IA et éthique ».
Dossier réalisé en partenariat avec la région Occitanie.