Marguerite Duras en janvier 1967. / Rue des Archives/AGIP

FRANCE CULTURE - À LA DEMANDE

Merveilleux endroit – parfois, souvent – que la radio. Sans doute en partie, et parce que, dans le monde qui est le nôtre, où l’espace et le temps sont de plus en plus comptés, il semble s’y étirer et s’écouler différemment. Et que, là plus qu’ailleurs, il s’agit d’abord de faire entendre une (des) parole(s) et une (des) voix. C’est le cas avec Les Enfants de Duras, un podcast original signé Léa Capuano. Tout commence en 2017. La jeune femme (28 ans) qui a débuté à Radio Campus Paris avant de rejoindre France Culture en 2014, entend un enregistrement d’ archive, dans lequel, en 1967, Marguerite Duras – à l’invitation de François Truffaut, et pour France Culture dans l’émission « Comme il vous plaira » – questionne des enfants de l’école de la rue Saint-Benoît, où elle habita (au numéro 5), dans le 6e arrondissement de Paris.

« Immédiatement, j’ai voulu les retrouver », confie Léa Capuano. Commence alors « une enquête à la Sherlock Holmes », à l’heure, heureusement, d’Internet. La jeune femme ne dispose en effet que du nom, prénom, date de naissance – parfois de la profession des parents. C’est grâce au site Copains d’avant qu’elle retrouve d’abord Sophie. La photo de cette femme aux longs cheveux tressés couleur poivre et sel l’encourage à tenter le coup. Débarquer dans la vie des gens cinquante ans après n’est, en effet, pas chose aisée.

Intéressant aussi comment, très tôt, les enfants ont conscience qu’on les « surveille »trop »). Que l’argent est important, pour tout ce qu’il permet d’acheter…

En quelques mois, elle retrouve aussi Claire, Christine, Antoine, François (mort pendant le tournage et auquel le podcast est dédié). Seul Eric Michaud (l’orthographe exacte de son nom n’est pas connue) manque à l’appel : « Mais j’ai espoir que la diffusion de l’émission permettra d’y remédier », ajoute Léa Capuano. En février, la jeune femme commence les entretiens et pose les mêmes questions que Marguerite Duras. Les vraies, les seules, les « essentielles », comme elle les appelle : « C’est quoi le meilleur dans la vie ? » ; « Qu’est ce qui est triste ? » Il est intéressant de noter combien les réponses des enfants – que l’on entend ici grâce à cette belle archive – sont courtes parce que franches, tranchées, quand les adultes, eux, hésitent davantage. Intéressant aussi comment, très tôt, les enfants ont conscience qu’on les « surveille » (« trop »). Que l’argent est important, pour tout ce qu’il permet d’acheter… Que, « et même si on mange bien », dira l’un d’eux, « on ne peut pas s’empêcher de mourir, c’est comme ça la vie ».

« Une grande continuité »

Il y a aussi la récitation d’une poésie de Louisa Paulin, Ils te prendront, petit oiseau sauvage, utilisée ici comme une ritournelle un peu effrayante – mise en garde du père à son enfant si d’aventure ce dernier ose quitter le nid. Mais d’ailleurs, que reste-t-il de l’enfance et de l’enfant que nous fûmes ? « J’ai été frappée de constater qu’il y a une grande continuité », remarque Léa Capuano. Qui ajoute : « Beaucoup avaient gardé la même voix. » Dans le troisième et dernier épisode, la jeune femme a tenu à interroger des enfants de l’école de Pantin, non loin de chez elle. Autre milieu, autre temps. Pour autant, elle retient combien réponses et préoccupations sont finalement communes à cette période, définitivement à part, qu’est l’enfance. Grâce à un montage cousu main, fait notamment d’habiles allers et retours entre hier et aujourd’hui, on se surprend alors à entendre le temps qui passe, les rires qui fusent et les silences parfois merveilleusement nécessaires.

Les Enfants de Duras, podcast original en 3 épisodes de 25 minutes, produit par Léa Capuano, réalisé par Angélique Tibau, disponible sur Franceculture.fr