Festival de Cannes : la puissance enivrante de Corneliu Porumboiu
Festival de Cannes : la puissance enivrante de Corneliu Porumboiu
Par Jacques Mandelbaum
En 2006, son premier film, « 12 h 08 à l’est de Bucarest », remporte la Caméra d’or de la Quinzaine des réalisateurs. Habitué des sections parallèles, le cinéaste roumain concourt, enfin, pour la Palme d’or cette année, avec « Les Siffleurs ».
Corneliu Porumboiu, en février 2012, à Paris. / Philippe QUAISSE/PASCO
Les Siffleurs, septième long-métrage de Corneliu Porumboiu, inaugure la présence de cet incroyable réalisateur roumain dans la sélection officielle cannoise. Il était temps. Il fut en effet, en ces mêmes lieux, un des pionniers de cette équipée roumaine puisant dans les trésors infinis de l’humour fatidique national les ressources d’un réalisme confinant à la surréalité.
Nouveau cinéma roumain
L’affaire se conclut en trois ans. 2005 : découverte de La Mort de Dante Lazarescu, farce macabre de Cristi Puiu, en Sélection officielle/Un certain regard. 2006 : irruption de Porumboiu à la Quinzaine des réalisateurs avec son premier long-métrage, 12 h 08 à l’est de Bucarest, remémoration calamiteuse de la révolution roumaine par trois de ses acteurs, huis clos caustique qui lui vaut la prestigieuse Caméra d’or. 2007 : entrée de 4 mois, 3 semaines, 2 jours, de Cristian Mungiu, en compétition, d’autant plus fracassante que le film y reçoit la Palme d’or. Ce trio (bientôt rejoint par d’autres talents) écrit l’acte de naissance du nouveau cinéma roumain sur la scène internationale.
On connaît la suite. Mungiu, créateur d’une grande finesse, au baroque plus tempéré que ses camarades, s’abonne à la compétition (Au-delà des collines, Baccalauréat). Puiu, fou furieux grand style, y accède en 2016 avec Sieranevada. Seul Porumboiu restait cantonné en section parallèle nonobstant sa puissante originalité. Il est vrai que le titre de « Roumain parallèle » lui irait comme un gant. Il est le plus conceptuel et le plus joueur des trois, poussant très loin les charmes de la ratiocination enivrante, du canular mental, de la dialectique déréglée, du point de détail tordu qui finit par détacher la réalité d’elle-même.
Bonnes fées
Policier, adjectif (2009) confronte un flic à sa hiérarchie sur l’attitude qu’il convient d’adopter à l’égard d’un jeune revendeur de haschisch, la chose allant jusqu’à un débat sémantique d’anthologie, car, évidemment, la barbarie loge dans les détails. Métabolisme ou Quand le soir tombe sur Bucarest (2013) voit un réalisateur s’inventer un ulcère à l’estomac pour à la fois prolonger le tournage de son film et continuer d’y faire semblant de subjuguer une actrice de second plan qui se prête sans état d’âme à son illusion de conquête. Suivra notamment, parmi quelques essais confinant à l’expérimentation pure, une chasse au magot beckettienne réunissant autour d’un trou deux voisins endettés, dans Le Trésor (2015).
Deux bonnes fées européennes ont rendu possible son nouveau film, la Française Sylvie Pialat (Les Films du Worso) et l’Allemande Maren Ade (Komplizen Film), elle-même réalisatrice du grandiose Toni Erdmann (2016). Ce double parrainage est de bon augure. Ce qu’on sait des Siffleurs itou : l’histoire d’un inspecteur de police roumain (interprété par l’excellent Vlad Ivanov) qui s’installe sur l’île espagnole de La Gomera, aux Canaries, pour y apprendre le silbo gomero, célèbre langage sifflé pratiqué céans, y tomber fou amoureux et y glaner des informations qui permettraient de faire délivrer un homme d’affaires louche emprisonné en Roumanie. Que demande le peuple ?