Festival de Cannes : plongée dans la Chine au vitriol de Diao Yinan
Festival de Cannes : plongée dans la Chine au vitriol de Diao Yinan
Par Jacques Mandelbaum
Le réalisateur chinois, lauréat de l’Ours d’or en 2014 pour « Black Coal », à Berlin, présente en compétition « Le Lac aux oies sauvages », où il retrouve l’acteur Liao Fan.
Diao Yinan, en 2014, à Paris. / Julien Lienard/Contour by Getty Images
Diao Yinan, 49 ans, joueur chinois émérite, arrive en quatre coups à la compétition cannoise, pour y placer son Lac aux oies sauvages. Premier mouvement : Uniforme, qu’on découvre en 2003 au Festival de Vancouver. Deuxième mouvement : Train de nuit, présenté en 2007 à Cannes, à Un certain regard. Troisième mouvement : Black Coal, qui lui vaut en 2014 l’Ours d’or à la Berlinale.
Diplômé de l’Académie centrale d’art dramatique de Pékin, il a entamé sa carrière comme scénariste aux côtés du virevoltant Zhang Yang (Spicy Love Soup en 1997 ; Shower en 1999). Et comme acteur en 2003, dans All Tomorrow’s Parties, de Yu Lik-wai, en même temps que réalisateur, puisqu’il signe la même année son premier long-métrage.
Fable savoureuse
Uniforme, produit par la Xstream Pictures, société cofondée par le cinéaste Jia Zhang-ke, est une fable savoureuse et cruelle sur l’imposture comme moyen nécessaire, sinon suffisant, de survie dans la société chinoise contemporaine. Un jeune tailleur de 20 ans, dont le père ne peut plus travailler, utilise un uniforme de policier non réclamé pour s’arroger la fonction et en tirer un juteux profit, avant que la situation ne se retourne contre lui.
Quatre ans plus tard, Diao Yinan réalise Train de nuit, cette fois avec la jeune productrice et réalisatrice indépendante Vivian Qu (laquelle produira également Black Coal). Une femme auxiliaire de justice s’y offre, en connaissance de cause, au mari vengeur d’une détenue qu’elle a exécutée. Risque existentiel et hiératisme esthétique au programme de ce film déjà fascinant, qui évoque autant Bresson que Kafka.
Trivialité poisseuse
Il ne faudra pas moins de sept ans à Diao Yinan pour parvenir à réaliser cette pépite qu’est Black Coal. Un cadavre éparpillé aux quatre coins de la Mandchourie y est l’objet de l’enquête opiniâtre de l’inspecteur Zhang, qui échouera sur le fil, avant d’y revenir cinq ans plus tard, destitué du corps de la police mais plus attaché que jamais au corps du délit. Diao Yinan cultive la trivialité poisseuse du film noir américain, peint l’équivoque morale selon Buñuel, emprunte ses fondements à Marguerite Duras. Cela fait un portrait vitriolé de la Chine, au nez et à la barbe de la censure dont les directives ont, selon son propre aveu, profité à l’œuvre. C’est d’ailleurs un des rares films d’auteur chinois qui ait fait un tabac à domicile.
Voilà qui donne la mesure de l’intelligence créatrice de ce cinéaste, dont le nouveau film fait évidemment rêver les cinéphiles. On sait pourtant peu de chose du Lac aux oies sauvages, si ce n’est que Diao Yinan y creuse le sillon du polar, selon la figure canonique de la cavale de la dernière chance, qui lie un chef de gang à une prostituée. On y retrouvera ce bel acteur qu’est Liao Fan, qui interprétait le rôle de l’inspecteur Zhang dans Black Coal et a également tenu le premier rôle dans Les Eternels (2018), de Jia Zhang-ke. Et, pour rêver un peu en attendant, cette phrase de l’auteur sur son propre film : « Quand nous sommes las de la politique collective, le comportement individuel, qu’il soit flou ou au contraire déterminé, devient possiblement le seul appel fiable à la rédemption. »