« Il est erroné de croire que les touristes veulent aller vers des zones dangereuses »
« Il est erroné de croire que les touristes veulent aller vers des zones dangereuses »
Propos recueillis par Maryline Baumard
A la tête du groupe Voyageurs du monde, Jean-François Rial analyse l’explosion de la demande d’Afrique, en dépit des zones déconseillées par le Quai d’Orsay.
Le PDG de Voyageurs du monde, Jean-Francois Rial, à Paris, en novembre 2006. / OLIVIER LABAN-MATTEI / AFP
L’épisode des deux otages français enlevés au Bénin et libérés au Burkina Faso, doublé de la polémique sur les zones déconseillées par le Quai d’Orsay, a braqué les projecteurs sur le tourisme en Afrique. Spécialisé dans l’organisation de voyages d’aventure, avec Terres d’aventure et le sur-mesure avec la marque Voyageurs du monde, Jean-François Rial analyse l’explosion de la demande d’Afrique en dépit de « l’impression visuelle que la carte des conseils aux voyageurs peut donner ». Cette carte du ministère des affaires étrangères, qui a été au centre du débat sur une hypothétique imprudence des otages, est dominée par le rouge des zones « formellement déconseillées » et l’orange du « déconseillé sauf raison impérative ». M. Rial explique au Monde Afrique cet apparent paradoxe.
Vous nous dites, d’une part, que les touristes fuient les zones dangereuses et, d’autre part, qu’ils demandent de plus en plus d’Afrique. Comment est-ce compatible ?
Jean-François Rial Nos clients ont de plus en plus envie d’Afrique, mais l’Afrique est un continent et les régions qu’ils veulent explorer ne se superposent pas avec la carte de celles qui sont « formellement déconseillées » [zones rouges] ou même « déconseillées sauf raison impérative » [zones orange] par le Quai d’Orsay. Aujourd’hui, les voyageurs privilégient l’Afrique du Nord, l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe, quand le Quai d’Orsay, lui, déconseille en premier lieu le Sahel.
Si l’on parle pays, nos destinations les plus prisées restent l’Egypte, l’Afrique du Sud, la Tanzanie et la Namibie. Celles qui connaissent la croissance la plus remarquable ces dernières années sont le Rwanda, l’Ethiopie, l’Algérie et la Mauritanie.
Vous ouvrez de nouvelles destinations en Afrique et revenez sur des zones hier délaissées…
Oui, depuis cinq ans, notre demande d’Afrique augmente de 10 % par an. C’est un des continents d’avenir du tourisme et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, c’est même déjà le premier continent visité, après l’Europe, par les Américains. Ils adorent les beaux lodges et les paysages extraordinaires. Or, l’Afrique offre tout cela et beaucoup plus.
Que viennent donc chercher les voyageurs en Afrique ?
Les personnes avec qui nous travaillons sont portées par trois motivations principales. Le culturel et l’historique d’abord. Ils veulent se rendre sur ces terres berceau de l’humanité, se mettre dans les pas de Nelson Mandela en Afrique du Sud et je ne vous parle même pas de la culture égyptienne qui reste très demandée… Mais ils veulent aussi se trouver face à des paysages extraordinaires et avoir accès à une faune sauvage dans son milieu naturel. Le continent africain permet des voyages très différents, mais toujours extraordinaires. C’est aussi pour cela que ce continent monte très vite malgré la fermeture globale du Sahel.
Justement, vous demande-t-on d’organiser des séjours au Sahel ?
Le grand frisson que cherchent nos voyageurs, c’est celui de la contemplation d’un paysage à couper le souffle. Il est erroné de croire que les touristes veulent aller vers des zones dangereuses. Nous accompagnons environ 50 000 clients chaque année et si nous avons cinq ou six dossiers pour des zones orange, c’est bien le maximum.
Vous n’emmenez personne au Sahara aujourd’hui ?
Le Sahara est le plus beau désert du monde. Je suis devenu voyagiste il y a vingt-cinq ans après un trek là-bas. Mais, aujourd’hui, c’est devenu une zone rouge avec une exception que je voudrais souligner : la Mauritanie. La zone de l’Adrar n’est plus déconseillée aux voyageurs et il est intéressant de comprendre ce qui s’y est passé, parce que cela montre que l’on peut agir. Cette magnifique région de hauts plateaux n’a que trois portes d’entrée. Si elles sont toutes trois sécurisées, ce qui est le cas aujourd’hui, on peut y circuler en sécurité. Mais avant d’en arriver là, un vrai travail a été fait par la Mauritanie.
D’abord, un ancien général de l’opération « Barkhane » a été mandaté pour mener un audit de la zone. Ensuite, le gouvernement mauritanien a fait un effort important pour sécuriser les trois accès et, ensuite, nous, voyagistes, avec un rôle prédominant de Maurice Freund, le fondateur de l’agence Point Afrique, avons plaidé auprès du Quai d’Orsay, qui nous a entendus, afin que l’Adrar ne soit plus en zone rouge.
Vous nous dites là que vous dialoguez avec le ministère des affaires étrangères ?
Bien sûr. Entre voyagistes sérieux et ministère des affaires étrangères, nous nous écoutons et conversons. Car nous respectons à 100 % les zones rouges et n’y emmenons jamais de touristes. Il est certain qu’un classement en zone rouge ou même orange équivaut à une mise au ban. Cela détourne les flux touristiques et donc des recettes importantes pour l’économie locale. C’est sécurisant à court terme, mais on sait combien le terrorisme fait son lit sur la pauvreté.
Et quelle pratique adoptez-vous avec les zones orange qui, elles, sont « déconseillées sauf raison impérative » ?
Si l’on regarde l’Ethiopie, pays en forte croissance, nous organisons des voyages pour comprendre l’Ethiopie historique avec les églises de Lalibela, le centre religieux d’Aksoum ou la capitale historique de Gondar. En revanche, nous avons cessé d’emmener des touristes dans le désert du Danakil, qui est un lieu réellement spectaculaire, mais que le Quai d’Orsay déconseille pour des raisons de sécurité, mais aussi d’éloignement du premier hôpital.
Dans 98 % des cas, nous respectons les consignes concernant les zones orange. Et lorsqu’on ne les suit pas, c’est pour la conjonction de deux raisons. D’abord parce que, sur place, nos informateurs nous assurent que la zone est sans danger, et puis parce que nos voisins, Britanniques ou Allemands, ne la classent pas en orange. Dans ce cas, nous informons le touriste des analyses sécuritaires officielles et de notre regard, et lui faisons signer le descriptif que nous lui faisons s’il veut s’y rendre. Et comme nous sommes dans un monde où la liberté de circuler existe, il décide lui-même en fonction de sa sensibilité.
Estimez-vous parfois que le ministère des affaires étrangères se trompe ?
Dans l’immense majorité des cas, il a raison. Mais je viens d’emmener des amis au nord du Soudan, sur le site des pyramides entre Khartoum et la ville de Wadi Halfa. C’est une zone orange pour le Quai d’Orsay et ce classement est à mes yeux injustifié. Elle est d’ailleurs verte chez les Britanniques…
Et concernant le parc de la Pendjari, qu’en pensez-vous ?
L’enlèvement qui s’est produit dans le nord du Bénin est comme une métastase de la situation qui prévaut au Sahara où les djihadistes sont peu nombreux mais très mobiles, donc difficiles à localiser. Le parc de la Pendjari au Bénin était globalement jaune [vigilance renforcée] au moment où les ex-otages s’y sont promenés. Une partie de ce parc était orange [déconseillé sauf raison impérative] à l’époque déjà, et une toute petite partie rouge [formellement déconseillé]. Donc Jean-Yves Le Drian a peut-être un peu exagéré, mais il n’a pas complètement tort, parce que tout cela est subtil et complexe.
Le Quai d’Orsay fait son travail. Mais on est dans une société qui n’accepte plus le risque et les aléas, où il faut toujours trouver un responsable. Et si le ministre a été un peu rapide dans son analyse de la situation, c’est qu’il avait peur qu’on reproche à ses services de n’avoir pas bien appréhendé la situation.
Parfois, a contrario, c’est la couleur verte d’un pays qui interroge. Je pense au Maroc, presque entièrement en vert alors qu’il a connu plusieurs attentats ?
On est dans une subtile alchimie et l’appréhension des risques s’appuie aussi sur l’histoire des relations entre les pays et les intérêts partagés. Avant l’assassinat de deux touristes scandinaves en décembre 2018 dans le Haut-Atlas, le dernier attentat remontait à 2011. Et n’oublions pas a contrario qu’après les attentats de Paris, la capitale française n’est pas devenue rouge pour les conseils aux étrangers.
En Afrique, vous venez de rouvrir des destinations en Algérie. Une nouvelle ère s’ouvre ?
Ghardaïa fait partie des perles de l’Afrique et a une des trois plus belles médinas du monde arabe. Je suis très heureux d’y emmener à nouveau des voyageurs depuis un an et demi. Et je suis ravi que le Rwanda et le Nigeria s’installent tous deux comme destinations un peu nouvelles. Le Rwanda est très demandé chez nous pour trois raisons. D’abord, pour ses réserves de gorilles, exceptionnelles. Ensuite, pour ses paysages splendides. Et enfin, pour la sécurité qu’il offre. Le cumul de ces trois points forts en fait une zone qui s’est rapidement imposée comme très attractive. Dans un autre style, nous emmenons des voyageurs à Lagos qui attire une clientèle cultivée, branchée, qui a envie de sentir cette mégapole bouillonnante. Tout cela est nouveau et prometteur.
Et l’Afrique de l’Ouest ?
Là, vous touchez le point faible du continent. C’est une région qui n’a pas encore décollé. C’est un peu le parent pauvre du tourisme en Afrique parce que la zone pâtit d’un manque d’infrastructures et d’une image détériorée qui tarde à se reconstruire.