A Madagascar : les antivaccins gagnent du terrain
A Madagascar : les antivaccins gagnent du terrain
Par Laure Verneau (Antananarivo, correspondance)
La Grande Ile n’avait pas connu d’épidémie de rougeole depuis 2003. En cause : une couverture vaccinale qui s’affaiblit depuis une dizaine d’années.
Un enfant est vacciné contre la rougeole dans le Centre de santé de base d’Anivorano ( province d’Antsiranana) en février 2019 alors qu’une épidémie sévit à Madagascar. / AFP
Le Centre de santé de base (CSB) de Mahavanona ressemble à un petit village un peu perdu dans les collines vertes de la région de Diana, dans le nord de l’île. Début mai, une mère est arrivée avec sa fille d’un an en pleine rougeole. « La dame a refusé qu’on vaccine son enfant. Il était suivi par un tradipraticien [guérisseur] qui avait recommandé de ne pas le piquer pendant le traitement », raconte le docteur Avotra Razafimandimby. « Comme son état empirait, elle est venue en consultation au CSB. Et en désespoir de cause, je lui ai donné des comprimés et du sirop », ajoute le praticien qui a ensuite appris le décès de la fillette.
Au 28 avril 2019, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près de 150 000 cas de rougeole ont été enregistrés à Madagascar, dont au moins 1 242 mortels. Et si l’épidémie ralentit depuis février, elle n’est pas enrayée. Selon l’OMS, le rejet de l’injection est la première explication à la faible couverture vaccinale dans la Grande Ile, où moins de la moitié des enfants seraient immunisés. « En brousse, pour peu que la pédagogie soit bien faite, les gens acceptent la vaccination. En ville, en revanche, ils sont très difficiles à convaincre à cause des réseaux sociaux. Depuis le début de l’épidémie, des rumeurs circulent sur Facebook. Les vaccins rendraient sourds et muets, ils paralyseraient à vie… », se désole le médecin.
Même si le taux de pénétration Internet n’est que de 6,3 % seulement (selon une étude 2017 du ministère du développement numérique), les rumeurs diffusées sur la Toile se répandent, amplifiées par le bouche-à-oreille. En novembre 2017, déjà, un vent de panique avait soufflé sur la capitale en prise avec une épidémie de peste particulièrement virulente qui a fait près de 200 morts. « Nous avions envoyé des équipes dans les écoles d’Antananarivo pour faire de la sensibilisation, se souvient Charlotte N’Diaye, la responsable de l’OMS à Madagascar. Et à cause de Facebook, les gens ont cru que l’on venait avec des militaires les vacciner de force. » Qu’il n’y ait pas de vaccin pour soigner la peste n’y change rien : des parents sont venus en catastrophe chercher leurs enfants à la sortie des écoles.
Couverture vaccinale en chute libre
Lors de la dernière phase de vaccination de la rougeole qui a eu lieu du 25 mars au 6 avril, sur 4 millions d’enfants immunisés, seulement 154 refus ont été enregistrés. Mais sur le terrain, le personnel de santé est formel : convaincre de la nécessité de l’immunisation est devenu compliqué quand cela se heurte au nœud constitué par les croyances, les fantasmes et aussi les coutumes.
Madagascar s’inscrirait-il dans la tendance mondiale de l’antivaccin ? « Je ne pense pas, poursuit Charlotte N’Diaye. En revanche, des facteurs structurels expliquent que la vaccination ne fonctionne pas ici. D’abord, la chaîne du froid n’est pas respectée à cause des délestages à répétition qui rendent les doses inopérantes. Ensuite, il y a la difficulté d’accès de certaines zones, l’insécurité, le personnel qui n’est pas assez formé… Et puis, qui marcherait 10 kilomètres pour faire vacciner un enfant en bonne santé ? », interroge la responsable, pour qui « il faut faire de la pédagogie ». Il y a même urgence à l’heure où en dépit de la gratuité des onze vaccins de routine, la couverture vaccinale est en chute libre depuis une dizaine d’années. Une tendance aggravée par l’instabilité politique qui a participé à la dégradation du système de santé. Selon l’OMS, le refus de vaccination est l’une des plus grandes menaces sur la santé mondiale en 2019.