Marine Le Pen et Jordan Bardella ont immortalisé leur passage en meeting à Villeblevin. / FRANCOIS GUILLOT / AFP

« Quand on est Français, on vote ! » Gyslaine Petit est catégorique : « jamais, jamais » elle n’a raté un scrutin. La presque retraitée s’emporte presque en pensant à ceux qui disent que leur voix ne sert à rien. « Alors on fait quoi, si personne n’y va ? On laisse faire Macron, c’est ça ? » Mardi 21 mai, Mme Petit est même allée un peu plus loin dans son engagement politique : à 61 ans, elle a roulé jusqu’à Villeblevin, dans l’Yonne, pour assister à son premier meeting de campagne. Téléphone à la main, elle s’apprête à immortaliser l’entrée en scène de Marine Le Pen. Mais alors, ira-t-elle voter pour la candidate du Rassemblement national (RN) ou contre Emmanuel Macron dimanche prochain ? « Un peu des deux ! Si on vote pour Marine, on vote contre Macron », résume l’électrice du RN.

Dans le foyer communal du village, devant près de 300 personnes et presque autant de drapeaux français, la patronne du RN et son jeune poulain sont venus battre le rappel des troupes. Dans un scrutin peu enclin à la participation, le RN cible autant l’abstention qu’Emmanuel Macron.

En face-à-face direct avec la liste de la majorité présidentielle dans les sondages, Marine Le Pen ose même user d’un argument habituellement employé pour empêcher son parti d’arriver en tête : le « vote utile ». « Ne ménagez pas vos efforts, chaque voix va compter », presse-t-elle la salle, incitant chaque militant à « aller convaincre tout le monde » que le seul « vote utile » serait donc de la placer devant Emmanuel Macron, le 26 mai. Et ce, pour ne pas lui « laisser un chèque en blanc » à la première place, « car évidemment il n’hésitera pas à en abuser pour imposer une entreprise méthode de déconstruction de la France et faire émerger une société injuste et inhumaine », ajoute-t-elle en poursuivant sur un anti-macronisme mobilisateur dans son camp.

A ceux qui seraient tentés de voter pour des petites listes créditées à moins de 5 %, celles qui pourraient ne pas avoir d’élus : « dites-leur que leur voix va être gâchée », exhorte-t-elle. Même argument, ou presque, pour le parti Les Républicains « sous la coupe de Merkel », selon elle, au Parlement européen. La patronne du RN lance même un nouvel appel du pied aux « gilets jaunes », les appelant à transformer leur « colère » de ronds-points en vote lepéniste, le 26 mai prochain. « Nous appelons les Français à stopper la politique d’Emmanuel Macron », résume la tête de liste du parti d’extrême droite, Jordan Bardella, selon qui « le grand danger qui nous guette est celui de l’abstention ». Sans oublier l’immigration.

Un discours qui résonne dans l’Yonne

Car après le « vote utile » anti-macroniste, le duo sort le joker le plus mobilisateur du camp lepéniste : la recette identitaire. Sous les « on est chez nous » de la salle, Marine Le Pen tance la « logique immigrationniste mercantile et post-nationale de l’Union européenne », qui, selon elle, « organise » la « submersion ». Jordan Bardella, lui, incante l’un des slogans les plus célèbres de l’ancien Front national : « les nôtres d’abord ».

Dans l’Yonne, Marine Le Pen et son fidèle lieutenant de 23 ans sont surtout venus s’adresser à leur électorat, à cette France des oubliés, qui lui offre ses meilleurs scores et sur laquelle la patronne du RN s’est tant appuyée depuis qu’elle a succédé à son père, en 2011.

« Ils toucheront aux pensions de réversion, à l’assurance chômage », menace Marine Le Pen, quand Jordan Bardella évoque le prix de l’essence et les « cadeaux aux plus riches », les petites retraites et les mères célibataires. Un discours qui résonne, ici. Dans l’assemblée, on acquiesce et on compare ses galères. En septembre, Gyslaine Petit touchera 700 euros à peine, après une vie d’usine et d’aide à domicile. Marine Le Pen pourrait y changer quelque chose ? « Déjà elle arrêtera l’immigration, parce que nous on n’a rien pour vivre et on leur donne tout. » Marc acquiesce. L’ancien bûcheron évoque ses parents et leurs retraites misérables, après 45 ans de travail. « Je sais bien qu’ils sont dans la misère, les migrants, mais faut d’abord regarder à sa porte ».

Un homme en rouge s’immisce subrepticement dans la conversation. La redistribution, « c’est bien joli » sur le papier, mais « les riches sont intouchables ». Il était communiste, avant. Un peu socialiste, quand « y’avait pas le choix ». Il a connu Mitterrand, puis Hollande président. « Et ben moi je vous le dis, ça n’a rien changé. » Alors l’ancien rouge votera pour celle qu’il est venu écouter quelques minutes ce soir. Sans rester jusqu’à la fin. « Toute façon, on verra bien. »