Binyavanga Wainaina, « météorite » de la littérature africaine est mort
Binyavanga Wainaina, « météorite » de la littérature africaine est mort
Par Abdourahman Waberi
L’écrivain kényan et militant de la cause homosexuelle en Afrique est mort à l’âge de 48 ans. Il avait reçu le prestigieux prix Caine en 2002.
L’écrivain kényan Binyavanga Wainaina, à Nairobi, le 27 janvier 2014. / SIMON MAINA / AFP
Disparu dans la nuit du 21 au 22 mai, l’écrivain Binyavanga Wainaina était né en 1971 à Nakuru, au Kenya, et y avait fait ses études secondaires. A 20 ans, il s’envole pour suivre des études de commerce, non pas au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, mais à l’université du Transkei, en Afrique du Sud. Un choix déterminant. « C’est en Afrique du Sud que je suis devenu africain. J’y ai appris la valeur de l’engagement politique », témoignera-t-il. Le temps de publier quelques récits de voyage mettant en vedette la cuisine africaine et le voilà de retour dans son pays, qui sort d’une longue léthargie politique et sociale.
De ce retour, il tire une nouvelle, Discovering Home, qui gagne le prestigieux prix Caine en juin 2002. Avec quelques amis, Binyavanga Wainaina lance en 2003 la revue Kwani aussitôt mue en structure éditoriale et laboratoire d’idées, Kwani Trust. De cette pépinière sont sortis des écrivains confirmés à l’instar de Billy Kahora et Yvonne Adhiambo Owuor. Suit une décennie faste pour le prodige kényan tissant autant des liens physiques que symboliques entre le Kenya, l’Afrique et le reste du monde. De cette période date notre amitié qui a eu pour théâtre les coulisses des festivals, de Berlin à Boston en passant par Mombasa, Ferrare ou encore le pays de Nelson Mandela et de Trevor Noah.
Fringale de vie
Binyavanga Wainaina était une météorite. Une météorite qui, on le sait, ne laissait jamais d’adresse. Binjy pour les uns, Binya pour les autres, nombreux étaient ses amis de tous les continents et toutes les conditions. L’homme avait le physique d’un ours aimant, et aimé en retour. Rond, jovial, les yeux brillants, un verre et une cigarette à portée de main, Binyavanga Wainaina avait une fringale de vie inouïe. Généreux, entier et caustique, il ne détestait ni les polémiques ni les coups d’éclat pour faire entendre son point de vue. Il avait surtout un talent fou pour attraper les lecteurs. Un style qui était reconnaissable dès la première phrase, excellant dans le récit subjectif, court et tonique. Son premier ouvrage à caractère autobiographique, One Day I Will Write About This Place, longtemps annoncé, est finalement sorti en 2011. Cependant, c’est son court et provoquant essai Comment écrire sur l’Afrique publié dans la revue londonienne Granta en 2005, traduit en une multitude de langues, qui le fit connaître du grand public international.
Enseignants, journalistes et scénaristes utilisent ce brûlot qui agit sur les clichés et les idées reçues comme l’acide sur l’épiderme. Citons le premier paragraphe pour donner envie : « Comment écrire sur l’Afrique : employez toujours le mot “Afrique” ou “obscurité” ou “safari” pour votre titre. Les sous-titres pourront inclure des mots comme “Zanzibar”, “Massai’“ “Zambèze”, “Congo “, “Nil”, “gros”, “ciel”, “ombre”, “tambour”, “soleil” ou “passé”. Il y a aussi des mots utiles tels “guérillas”, “éternel”, “primordial” et “tribal”. A noter que “peuple” signifie les Africains qui ne sont pas noirs, alors que “les peuples” désigne “les Africains noirs”. Pas d’image d’Africain en règle sur la couverture de votre livre ou à l’intérieur, à moins que cet Africain ait gagné le prix Nobel. Un AK-47, des taquineries, des seins nus, voilà ce que vous devez utiliser… »
Il enseigne un temps aux Etats-Unis, puis dirige trois ans durant le Centre Chinua Achebe pour les écrivains et artistes africains au sein de Bard College. En 2010, la Coupe du monde de football se déroule en Afrique pour la première fois, Binyavanga Wainaina profite de cette occasion pour monter Pilgrimages, une plateforme panafricaine consistant à envoyer quatorze écrivains africains – dont votre serviteur – dans quatorze villes du Continent et de la diaspora pour susciter des synergies interafricaines.
Défendre les faibles et rire des puissants
En 2014, Binyavanga Wainaina se fait anthologiste en réunissant trente-neuf jeunes écrivains africains de moins de 39 ans. La même année, l’auteur de Comment écrire l’Afrique déclare publiquement qu’il est homosexuel en adressant une missive directe et affectueuse à sa mère. Retenu par le magazine Time dans la liste des cent personnalités les plus influentes du monde, il profite de son renom pour dénoncer les lois qui discriminent les minorités sexuelles dans nombre de pays africains. Très présent sur les réseaux sociaux, Wainaina défend toujours les plus faibles, se rit des puissants en mettant devant leurs contradictions, par exemple, les dirigeants du Forum économique mondial qui l’invite en 2007. Bien sûr, il dénonce la violence endémique au Kenya, notamment lors d’échéances électorales.
Le destin est cruel pour les météorites. En 2015, Binyavanga Wainaina est terrassé par un infarctus. Affaibli par la maladie, plus discret ces derniers temps, mon ami et collègue avait maints projets d’écriture à boucler et son mariage à célébrer. Quarante-huit heures après sa disparition, les hommages affluent de tous les continents. Nous sommes très nombreux à pleurer l’écrivain talentueux, le citoyen engagé et le précieux militant LGBT fauché dans la fleur de l’âge. Notre chagrin se fera un peu plus léger le jour où son œuvre encore inconnue des francophones trouvera un éditeur pour la traduire dans la langue d’Aimé Césaire et de Kateb Yacine.
Abdourahman Waberi est un écrivain franco-djiboutien, professeur à la George-Washington University et auteur, entre autres, de Moisson de crânes (2000), d’Aux Etats-Unis d’Afrique (2006) et de La Divine Chanson (2015).