Lors du premier tour entre Venus Williams et Elina Svitolina sur le nouveau court Simonne-Mathieu, lundi 27 mai. / Pavel Golovkin / AP

« Il est où le nouveau court ? » Il faut d’abord le trouver, le dernier-né de Roland-Garros. Pour l’atteindre, on doit contourner l’arène légendaire du court numéro un, qui vit sa dernière édition, puis emprunter un chemin arboré. C’est là, au bout d’une allée, dans la partie sud-est du jardin des Serres d’Auteuil, que se dissimule le nouvel écrin semi-enterré, le court Simonne-Mathieu. A l’écart, loin du charivari quotidien. On ne distingue d’abord que ses hautes baies vitrées, celles des quatre serres dans lesquelles il est enchâssé.

Lundi 27 mai, au deuxième jour du tournoi, tout le monde n’est pas encore au parfum. Deux spectatrices munies de billets pour le Suzanne-Lenglen tentent d’y accéder. Elles se font gentiment refouler. « Ah, on croyait que c’était un court annexe… » C’est désormais le troisième du stade en termes de capacité (5 000 places).

Quand il a fallu lui trouver un nom, celui de Simonne Mathieu s’est imposé. Un hommage à celle qui triompha en ces lieux par deux fois en simple, en 1938 (cette année-là, elle souleva aussi la coupe en double et en double mixte) et 1939.

La joueuse s’est aussi distinguée pour son engagement dans la Résistance : dès le lendemain de l’Appel du général de Gaulle, en juin 1940, elle est l’une des premières à proposer ses services, mettant sa carrière sportive entre parenthèses. Sa mission : organiser, former et prendre le commandement d’un corps auxiliaire de volontaires féminines à qui l’on confie les tâches que les hommes, partis combattre, ont délaissées. Elles seront les premières femmes à servir sous le statut de militaire.

Dans l’ombre de Suzanne Lenglen

Malgré son parcours peu banal, la Française au fort caractère a fini par tomber dans l’oubli. Reléguée dans l’ombre de la « divine » Suzanne Lenglen, reine de Roland dans les années 1920, à qui elle a succédé. A son jeu tout en labeur, elle qui épuisait ses adversaires par ses attaques répétées du fond du court, on opposait la grâce et le talent inné de son aînée. Avec ce court à son nom, l’anomalie a été en quelque sorte réparée, près de quarante après sa disparition (1980).

« Une femme qui incarnait la solidarité, l’audace et la modernité », a résumé, en présence de son petit-fils, le président de la Fédération française de tennis, Bernard Giudicelli, dimanche, à l’issue du match entre Garbiñe Muguruza et Taylor Townsend, les premières à s’y affronter (victoire de l’Espagnole en trois sets). C’est en fin de journée que le court a vécu ses premiers frissons, grâce à Nicolas Mahut, 37 ans, remonté héroïquement de deux sets à zéro face à l’Italien Marco Cecchinato (2-6, 6-7, 6-4, 6-2, 6-4), demi-finaliste en 2018.

Le Français s’est dit conquis par ce nouveau terrain de jeu : « Il est vraiment réussi, avec ses petites verrières. On sent à la fois que c’est un grand court, mais que les spectateurs sont proches. J’avais le sentiment que c’était entre le court 1 et le court 2 [l’ancien court annexe détruit en 2017 dans le cadre de la modernisation], en termes de sensations. Je pense que c’est un court génial pour les attaquants. »

Mardi, en fin de matinée, c’était au tour d’Alizé Cornet d’y faire son entrée, opposée à l’espoir slovaque Viktoria Kuzmova. A 11 heures, les gradins étaient encore clairsemés mais cela présentait deux avantages : on entendait en plein match les petits oiseaux chanter et les cloches de l’Orangerie voisine sonner.

La Niçoise, qui célébrait son 50e Grand Chelem consécutif, a baptisé le court d’une façon toute personnelle, l’arrosant de coups droits boisés, de doubles fautes, jusqu’à faire don de son corps, tombant à la renverse au bout d’une glissade. Résultat : une sortie par la petite porte (6-4, 6-3), ce qui ne lui était plus arrivé depuis sept ans.

Le scénario ne l’a pas empêchée de « kiff[er] grave ce moment sur le court. Je pense que cela va sûrement devenir mon court préféré à Roland. C’est dommage que je commence mon aventure par une défaite sur ce court mais j’espère avoir l’occasion d’y rejouer ».

« Tribune de la plèbe »

Les spectateurs aussi plébiscitent l’ex-objet du délit. Celui qui a longtemps fait peur aux défenseurs de l’environnement et du patrimoine, craignant de voir les serres historiques menacées. Ce mélange de verre, de béton et d’acier offre un cadre « extraordinaire, c’est le court dans lequel on rêverait de jouer », s’emballe Guy Prouvé, président du club de tennis de Château-Salins (Moselle), venu passer la journée avec son gendre.

Les deux passionnés n’ont pas de billets pour le court, ils se contentent du plaisir des yeux. Ce qui les frappe, immédiatement, c’est la proximité des spectateurs avec les joueurs : « A moins d’être des huiles, sur les autres principaux courts, on n’est jamais aussi près. »

Jean-François et Michèle Renaudin, des habitués parisiens, décrivent un « environnement végétal fascinant » : y sont présentées des plantes de collection censées évoquer la flore des zones tropicales d’Amérique, d’Afrique, d’Océanie et d’Asie. Elles seront accessibles au grand public toute l’année, hors tournoi. Pour le moment, il doit se contenter de regarder derrière les vitres.

Les serres qui entourent le court Simonne-Mathieu seront accessibles au grand public toute l’année, hors tournoi. Pour le moment, les spectateurs n’ont le droit qu’au plaisir des yeux. / Charles Platiau / REUTERS

« Le fait qu’il est isolé [le court est distant de 800 m du fond des Princes, l’autre extrémité du site] est assez reposant, poursuit Jean-François Renaudin. On a l’impression d’être dans un univers un peu confidentiel. » Le seul bémol, regrette-t-il, « c’est qu’on ait poussé l’économie à ne pas installer de sièges dans la tribune supérieure [dotée de simples bancs]. Il eût été préférable d’en mettre aussi. C’est un peu mesquin ».

A 13 heures, le soleil est enfin là, les spectateurs aussi. Contrairement au court Central, la pause déjeuner les a appâtés : on sort les chips et les sandwichs. C’est cette « ambiance populaire » qu’est venu chercher Sébastien Roullier, 35 ans, installé tout en haut, dans la « tribune de la plèbe » comme il dit. De son siège, il peut apercevoir la tour Eiffel.

Son court préféré jusque-là, c’était le n° 1 : « Je pensais qu’il disparaissait cette année donc j’espérais trouver avec celui-ci un court où on entende bien la balle, et où on ne soit pas trop loin du terrain. »

L’acoustique n’égalera jamais celle du n° 1, constate-t-il en amateur d’opéra, mais les applaudissements claquent, les balles aussi – « le son est vraiment bon », a constaté dimanche le joueur belge David Goffin. « Et puis, il est vraiment encaissé, le résultat est pas mal, ça ne pourrit pas trop l’environnement », conclut Sébastien Roullier. Cela tombe bien, c’était là le principal grief que ses détracteurs d’hier lui faisaient.