En Centrafrique, les survivants du massacre de Paoua racontent
En Centrafrique, les survivants du massacre de Paoua racontent
Par Gaël Grilhot (Lemouna et Koundjili, Centrafrique, envoyé spécial)
Une semaine après l’assassinat de 32 personnes par le groupe armé des 3R, les habitants des villages de Lemouna et Koundjili vivent dans la peur.
A Koundjili, on a déposé des objets usuels des défunts, comme une paire de chaussures, sur les tombes des victimes du massacre. / Gaël Grilhot
« Lorsqu’ils sont arrivés, j’étais aux champs. C’était l’heure de la sortie des classes. D’abord six motos, puis huit autres. Ils sont allés directement chez le chef du village pour convoquer une réunion. » Blessé au bras par une balle, Justin raconte le massacre qui a eu lieu dans son village du nord de la Centrafrique, mardi 21 mai. Ce jour-là, dans la région de Paoua, 32 personnes sont mortes à Lemouna et dans le village voisin de Koundjili.
Ce n’est pas la première fois que le groupe armé des 3R (Retour, Réclamation et Réhabilitation) organise ce genre de réunion de « conciliation » à Lemouna, à deux heures et demie de piste de Paoua. La plupart du temps, celles-ci servent à avertir les villageois de ne pas tenter de s’en prendre aux Peuls. Parfois, les miliciens repartent avec quelques bœufs.
Dans cette région située sur l’une des principales routes de transhumance, les relations entre les éleveurs peuls et les agriculteurs sont très tendues. Le trafic du bétail profite largement aux milices et explique en partie la longévité de ce conflit qui oppose plus de quatorze groupes armés et le gouvernement. Celui des 3R, dirigé par Sidiki Abass, se pose en protecteur des Peuls mais prospère largement sur leur dos et terrorise les populations locales. Dans le cadre des accords de paix signés à Bangui le 6 février, Sidiki Abass s’était pourtant engagé, comme les autres groupes, à ne plus commettre d’exactions contre les civils et avait même obtenu un poste de conseiller militaire auprès du premier ministre.
Mais la rencontre à Lemouna a tourné à la tuerie. « Ils ont sélectionné quelques-uns d’entre nous présents à la réunion, tous des hommes, et nous ont ligotés. Puis des motos sont reparties vers Koundjili et quand elles sont revenues, ils ont commencé à tirer, abattant d’abord à bout portant le chef du village et le directeur de l’école », raconte Justin, toujours sous le choc. Touché à la poitrine, son frère s’est effondré sur lui, le protégeant des balles.
Tués sans autre forme de procès
Selon les villageois, le massacre a fait 19 morts, tous enterrés le soir même, comme le veut la coutume locale. Apolline n’était pas là lorsque les événements sont survenus ; mais lorsqu’elle est rentrée, « les gens préparaient des fosses », dit-elle : « J’ai passé en revue les corps. Il y avait un de mes frères. Je me suis mise à pleurer. » Les trois jours suivants, elle les a passés, comme bien d’autres villageois, à chercher ses sept enfants, qui avaient fui en brousse. Depuis, à Lemouna, certains préfèrent dormir groupés, en dehors de leur domicile, craignant une nouvelle attaque.
A Koundjili non plus, la peur ne s’est pas dissipée. Les habitants affirment avoir vu arriver quatre motos conduites par des membres des 3R. Il était environ midi. Ils se sont approchés d’un groupe qui discutait sous un manguier et les ont assassinés sans autre forme de procès. Tous faisaient partie de la même famille, celle du député suppléant de Paoua, Florentin Bissi, une des victimes. En traversant le village, les assaillants ont tué deux autres personnes. « Nous avons encore peur, affirme un villageois. Le moindre éclatement de pot d’échappement nous fait sursauter. »
Tous les habitants de Koundjili n’ont pas réintégré leur maison. Ils seraient même une centaine à préférer dormir dans l’église du village et près de 200 dans l’école, à même le sol. Les cadavres ont été ensevelis le soir même, un peu à l’écart, « pour ne pas que le sang ne souille trop longtemps le village » ; et sur les tombeaux de terre fraîchement remuée, des branches ont été disposées, ainsi que les chaussures des victimes. A Koundjili, on pleure 13 morts, « qui ont fait 17 veuves et 97 orphelins », précise le chef du village, Geofrey Sang-Bai Yao.
La raison de ces attaques se trouverait dans l’assassinat d’un éleveur peul, le 8 mai, par trois villageois de Koundjili. Mais personne ne s’explique l’ampleur de ces représailles, d’autant que « les auteurs du meurtre initial ont été arrêtés par les villageois et remis à la gendarmerie de Paoua », affirme le chef du village. Ce que confirme le commandant en chef de la gendarmerie, qui affirme en détenir deux. Si un conseiller des 3R a rassuré les villageois plusieurs jours avant la tuerie en leur disant qu’ils étaient satisfaits de leur réaction, cela n’a visiblement pas suffi.
Trois jours de deuil national
Le chef du bureau de la mission des Nations unies (Minusca) pour la région de Paoua a été le premier sur place. « Nous étions en déplacement dans la zone, explique Laurent Wastelain. Nous n’avons pas été témoins du massacre, nous sommes arrivés juste après. C’est un axe très fréquenté, je ne m’attendais pas à ce qu’ils attaquent là. » Cet « axe très fréquenté » est une piste de terre souvent embourbée par la pluie, ce qui en dit long sur l’enclavement de cette région et sur les difficultés de sa sécurisation.
L’absence de réseau téléphonique est également pointée du doigt. « Quelqu’un de Lemouna aurait pu nous prévenir de ce qui était en train de se passer, souligne Bertrand, un jeune de Koundjili. Mais il n’y a pas de réseau. »
L’attaque pourrait avoir des répercussions sur la zone tout entière. A Koundjili, le fait que la Minusca ne soit pas intervenue à temps a jeté un froid. « Nous n’avons plus confiance, dit Bertrand. Il y a déjà quinze ou vingt jeunes qui ont fui vers le Cameroun. Et si rien n’est fait pour ramener la sécurité, ils seront beaucoup plus nombreux à partir. » Le jeune homme dit se laisser « une semaine pour voir ce que le gouvernement va faire ».
Diffusées largement sur les réseaux, les photos du drame ont choqué l’opinion centrafricaine, qui attend une réponse forte des autorités nationales et de la Minusca. Le président Faustin-Archange Touadéra a décrété trois jours de deuil national après le massacre. Face à la menace conjointe du gouvernement et de l’ONU d’être tenu personnellement responsable de ce crime, Sidiki Abass a livré trois de ses sbires à la justice centrafricaine et réitéré sa « ferme volonté de continuer à œuvrer pour la paix ». Il n’est pas certain que cela suffise à le dédouaner.