« Face à l’urgence climatique, les grandes villes doivent arrêter de se faire plaisir avec des projets expérimentaux »
« Face à l’urgence climatique, les grandes villes doivent arrêter de se faire plaisir avec des projets expérimentaux »
Propos recueillis par Julia Zimmerlich
Pour répondre aux problèmes liés au réchauffement climatique, le métier de « responsable de la résilience » a été créé dans les métropoles. Un professionnel du secteur, Sébastien Maire, explique en quoi consiste cette nouvelle activité.
Canicules à répétition, risques d’inondation ou au contraire d’étiage de la Seine, pollution de l’air… En septembre 2017, Paris a adopté une stratégie globale de résilience pour répondre à l’urgence climatique. Ce chantier est piloté par Sébastien Maire, délégué général à la transition écologique et à la résilience. Un nouveau métier qui a émergé dans les administrations des grandes villes du monde ces cinq dernières années.
La plupart des grandes métropoles ont aujourd’hui leur « chief resilient officer ». Quel est leur rôle ?
Sébastien Maire : La fonction est apparue avec le programme « 100 Resilient Cities », lancé en 2013 par la Fondation Rockefeller. Il visait à créer une nouvelle fonction transversale au cœur des administrations métropolitaines. La logique de fond était la suivante : les territoires doivent se préparer pour être en mesure de mieux encaisser les effets du dérèglement climatique et les stress chroniques que sont les pollutions de l’air et de l’eau, la raréfaction des ressources, le manque de cohésion sociale, la crise migratoire, etc. Les politiques du climat ne peuvent plus être morcelées en silos étanches – le logement, le transport, l’alimentation, la sécurité, l’approvisionnement, etc.
Pour que ces impératifs de transition s’imposent à tous les domaines de compétences de la ville, il faut une vision transversale. Elle est au cœur de la fonction du « chief resilient officer ». J’ai commencé ma mission, seul, en novembre 2015. Les deux premières années, mon poste de « haut responsable de la résilience » a été financé par la Fondation Rockefeller.
Puis, en février, cette fonction a été consacrée au sein de l’organigramme officiel avec la création d’une délégation générale à la transition écologique et à la résilience.
Quelles sont les actions que vous avez engagées pour répondre à la question du réchauffement climatique ?
L’une de nos actions-phares consiste à transformer les cours d’école en îlots de fraîcheur. On sait qu’il y aura au moins vingt-cinq jours de canicule à Paris d’ici à la fin du siècle et qu’à l’horizon 2050, nous allons connaître des épisodes de chaleur de 55 °C à l’ombre. Le projet Oasis vise à remplacer l’asphalte des cours de récréation par des matériaux innovants plus clairs, qui limitent le rayonnement solaire, et à créer des fontaines et des jardins pédagogiques.
Ce projet a aussi permis d’expliquer toute la démarche de résilience pour Paris. La réflexion a été menée en interne, sans l’aide d’un cabinet extérieur. Il est important de le souligner car c’est une source de fierté pour les agents de participer à ce changement de paradigme. Nous avons livré trois cours en 2018 et la maire de Paris, Anne Hidalgo, nous a demandé de passer tout de suite à la généralisation du programme.
La cour de l’école de la rue Charles-Hermite (Paris, 18e). / DR
Trente nouvelles cours doivent être livrées à la rentrée 2019 et l’objectif est de rénover les 700 cours d’écoles et collèges de Paris d’ici à 2040-2050. Nous avons mené tout un processus interne de conduite du changement pour faire évoluer les modalités de rénovation de cours d’école. Désormais c’est la norme pour tous les établissements scolaires de Paris. Il faut arrêter de se faire plaisir avec quelques projets expérimentaux.
Quand un modèle fait ses preuves, il faut le généraliser. Depuis nous avons reçu de nombreuses collectivités, parmi lesquelles Bordeaux, Grenoble et Nice, qui veulent dupliquer les oasis dans leur ville. Nous leur partageons les cahiers des charges techniques des appels d’offres, les supports de présentation pour les habitants… Nous sommes dans une logique de partage.
Parmi les actions annoncées dans le plan, vous prévoyez l’aménagement de « rues résilientes » ; qu’est-ce que cela signifie ?
C’est une nouvelle façon d’aménager les rues. Jusque-là, schématiquement, on pensait une rue selon sa capacité à supporter le poids d’un bus ou d’un camion. Les services ont mené toute une réflexion pour développer un nouveau référentiel de voirie résiliente avec des matériaux de sol drainants et perméables, des revêtements adaptés à la lutte contre l’effet d’îlot de chaleur, une plus large place à la végétation, du mobilier urbain polyvalent et accessible à tous… D’ici à la fin de l’année, nous allons livrer deux rues rénovées sur ces principes : les rues Blanchard et Terrier, dans le 20e arrondissement. Nous allons notamment tester un système de « flaques climatiques » en mobilisant le réseau d’eau non potable de Paris.
Peu de Parisiens le savent, mais le sous-sol de la capitale abrite un réseau d’eau non potable, distinct de celui du réseau d’eau potable, depuis la fin du XIXe siècle. Ce réseau permet de nettoyer les caniveaux et d’arroser certains parcs et jardins de la ville. En cas de forte chaleur, l’évaporation de ces flaques climatiques permettrait de réduire de quelques degrés la température dans une rue. C’est ce que nous allons expérimenter. Et encore une fois, si nos essais sont concluants, ces nouvelles modalités de rénovation de la voirie deviendront la norme à Paris.
Comment financez-vous cette transition ?
Nous n’avons pas besoin de plus d’argent. La logique de la résilience, c’est justement de faire avec ce que l’on a. Il devient urgent d’intégrer de nouveaux critères dans les choix d’attribution des financements existants. Sinon on continuera d’avoir d’un côté le « business as usual » et de l’autre, une chasse aux budgets pour financer des projets expérimentaux. C’est justement ce qu’il ne faut plus faire. Tous les projets doivent intégrer la question de la transition. A La Nouvelle-Orléans, un de mes homologues « chief resilient officer » est devenu le chef de l’administration.
Lors des entretiens budgétaires avec chacune des directions, il pose cette question : « En quoi votre action va nous aider à faire face à la prochaine inondation ? » Si la direction ne répond pas à cet objectif, elle doit revoir sa copie. Nous travaillons actuellement à la création d’indicateurs budgétaires systématiques qui nous permettraient de garantir que chaque euro investi par la collectivité a minima ne dessert pas nos objectifs d’adaptation et si possible les sert. Nous ne voulons surtout pas une usine à gaz mais un outil pédagogique vis-à-vis du territoire qui serve de couperet pour valider ou non les décisions.
Andrew Brenner, directeur de la communication du programme 100 Resilient Cities de la Fondation Rockefeller interviendra lors de la conférence « Villes résilientes, villes inventives » organisé par Le Monde Cities, en partenariat avec Saint Gobain, le 7 juin à Milan, de 17 heures à 19 h 30. Accès libre sur inscription. Débats en anglais.