A Sao Tomé-et-Principe, la nostalgie des plantations coloniales
A Sao Tomé-et-Principe, la nostalgie des plantations coloniales
Le Monde.fr avec AFP
Cœur d’une économie fondée sur la production de cacao et de café, de la fin du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle, les « roças » sont aujourd’hui abandonnées.
La « roça » Agostinho Neto, à Sao Tomé-et-Principe, en mai 2019. / ALEXIS HUGUET / AFP
« Avant, quand tu ouvrais la porte, il y avait des gens et de l’activité partout, mais tout a fermé ». Agida Lucia, 89 ans, est assise sur le bas-côté de la majestueuse route pavée d’une vieille roça, une plantation coloniale abandonnée de Sao Tomé-et-Principe. Cette femme d’origine angolaise, ancienne travailleuse sur la plantation de cacao Agostinho Neto, a un sourire malicieux quand elle décrit le passé : « Là-bas, il y avait la cantine. En haut, le bureau du contremaître. Là, une terrasse et une grande maison. Il y avait les couturières, l’hôpital, le cinéma… C’était bien. »
Elle parle d’une époque fastueuse qui a duré une cinquantaine d’années, de la fin du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle. La trentaine de roças des deux îles de Sao Tomé-et-Principe, à l’époque portugaises, était alors le cœur d’une économie fondée sur la production de cacao et de café.
En 1913, l’archipel était le premier exportateur de cacao au monde. « Il y avait 20 000 habitants dans les villages et 33 000 dans les plantations. Celles-là avaient un pouvoir économique et politique immense », explique Fernando d’Alva, historien et professeur à l’Université de Sao Tomé-et-Principe (USTP). « Ces roças étaient des entités parfaitement organisées. On y vivait mieux qu’à l’extérieur : elles avaient l’électricité, l’accès aux soins, le chemin de fer, le luxe et une organisation féodale huilée », explique-t-il.
Des bâtiments décrépis au cœur de la forêt
Particularité de l’archipel, il n’y avait dans les champs des roças aucun travailleur santoméen – certains Santoméens avaient eux-mêmes des rôles plus importants à la direction de plantations. Les travailleurs agricoles étaient tous des Africains du continent. Avec l’abolition de l’esclavage en 1876, des « contractuels » ont ensuite été amenés – souvent de force – d’Angola, du Mozambique, du Gabon ou du Congo. « On travaillait beaucoup, mais on pouvait manger tous les jours, se souvient Agida. Plus tard, tout a changé. »
Car peu à peu, l’essor de la production à grande échelle de café et de cacao en Afrique de l’Ouest et le désintérêt croissant du colon portugais pour cet archipel loin de tout, au milieu du golfe de Guinée, ont entraîné le déclin des plantations. Les seuls souvenirs de ce passé prospère sont des bâtiments décrépis au cœur de la forêt et les descendants des travailleurs, qui habitent toujours sur les lieux, héritiers malheureux d’une époque révolue.
« Aujourd’hui, chacun vit sa vie, personne ne s’entraide. On vit ici comme des animaux : si tu n’as personne pour te donner à manger, tu meurs de faim », peste Agida, qui a autant connu les années fastes que le lent déclin puis l’abandon total. Elle souhaiterait que « les choses redeviennent comme avant, que les Portugais reviennent ». Un sentiment largement partagé au sein de la population locale.
A quelques mètres, la petite-fille d’Agida, Sheila, 19 ans, décortique des escargots au couteau. Elle aussi, malgré son jeune âge, parle avec nostalgie d’un passé qu’elle n’a pourtant pas connu. Sheila veut faire du droit, pour se battre pour « le patrimoine ». Un symbole parmi d’autres de cet héritage perdu est l’hôpital de la roça, qui était « l’un des meilleurs de Sao Tomé », selon un autre habitant, chauffeur de moto-taxi.
La sauvegarde du patrimoine fait débat
L’ancien hôpital, large bâtisse aux murs rosâtres qui surplombe la plantation, ne fonctionne plus et ceux qui y travaillaient habitent désormais là. Il laisse aujourd’hui le soleil percer ce qu’il reste du toit : des tuiles ont été enlevées, des murs de bâtiments annexes ont disparu… « C’est la faute de l’Etat qui n’a rien fait pour le garder en bon état », affirme le chauffeur de moto-taxi, sous couvert d’anonymat.
Willy, qui guide volontiers les touristes dans la plantation contre quelques dobras, la monnaie locale, n’est pas d’accord : « On ne peut pas dire que c’est l’Etat qui a détruit. Ce sont les gens d’ici qui sont venus prendre des morceaux de toit, de poutre, de murs. Et aujourd’hui, ils disent que c’est l’Etat… »
A Sao Tomé, pays parmi les plus pauvres au monde, la sauvegarde du patrimoine fait débat. De fait, après l’indépendance en 1975, un régime socialiste a été mis en place et toutes les roças ont été nationalisées. « Mais ça n’a pas marché, il y avait un manque de compétences. Le nombre de techniciens qui connaissaient les méthodes de production était trop faible », explique l’historien Fernando d’Alva.
En 1991, avec l’arrivée du multipartisme et la libéralisation de l’économie de l’archipel, l’Etat a lâché prise : des concessions ont été créées, certaines roças ont trouvé des repreneurs, d’autres ont été laissées à l’abandon comme la plantation Agostinho Neto. Mince espoir pour les 1 300 habitants de cette roça : en mars, la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) a avancé l’idée d’un investissement futur dans la réfection des roças. Mais Agida et sa petite-fille Sheila restent prudentes. « On nous a souvent dit que ça allait changer. Mais on attend toujours », soupire la vieille dame.