Corentin Moutet, vendredi 31 mai au 3e tour de Roland-Garros. / Jean-Francois Badias / AP

Corentin Moutet est sans doute né avec quelques décennies de retard. Une main dont la raquette semble n’être que le prolongement naturel, des balles caressées ou au contraire giflées, une myriade d’effets à la volée, des amorties prodigieusement dosées, du panache, rien que du panache chez le jeune homme de 20 ans. Mais son gabarit (1,75 m, 68 kg) l’empêchera sans doute de jouer les premiers rôles sur un circuit colonisé par les costauds où même les échassiers jouent désormais les félins.

Vendredi 31 mai, les 2 200 spectateurs agglutinés sur le court 14 de Roland-Garros, tout au fond du Fond des Princes, ont eu 208 minutes pour admirer le jeu vintage du gaucher face à l’Argentin Juan Ignacio Londero. Dans les tribunes, le match était presque à sens unique, même si on peut toujours compter sur quelques trublions argentins costumés pour venir encourager l’un des leurs. Les joueurs n’avaient pas encore fait leur entrée que déjà résonnaient des « Coco, ramène la coupe à la maison ».

Le Français, convié par les organisateurs, signe un départ canon. Il expédie le premier set en vingt minutes (6-2). Son adversaire recolle aussitôt à une manche partout (6-3). Sur sa chaise, Londero donne des signes de coup de chaud. Il dépose un sac de glaçons sur son crâne, appelle les médecins, qui lui prennent la tension. Visiblement rien d’alarmant puisque l’Argentin repart au combat et prend d’entrée le service de son adversaire. Ce qui a le don d’agacer Moutet qui s’en plaint auprès de l’arbitre, le Britannique Richard Haigh. « Il a pris dix minutes, ce n’est pas sportif », peste le Français.

Rattrapé par ses vieux démons

Voilà Moutet rattrapé brièvement par ses vieux démons : le gamin torturé a longtemps dû se battre plus contre lui-même que contre ses adversaires. Trop sensible, pas assez discipliné sur le court. A la moindre balle ratée, le garçon disjonctait, au point de frôler plusieurs fois l’exclusion chez les juniors. A 3-1 contre lui, le gaucher balance une balle de rage. « Ball abuse for Mister Mutet », punit M. Haigh du haut de sa chaise. Le Français sauve deux balles de double break, pas la troisième. Il se retient de catapulter une nouvelle balle de dépit, se retourne vers son clan. Sourire diabolique. Mais il prend sur lui, remonte à 5-3, puis à 5-4. Dans les tribunes, les « Allez Coco » reprennent de plus belle.

L’Argentin Juan Ignacio Londero affrontera en huitième de finale l’Espagnol Rafael Nadal. / Jean-Francois Badias / AP

Juan Ignacio Londero ne se laisse pas impressionner. Au premier tour, face à Richard Gasquet, il a déjà subi l’hostilité du public cocardier. Il conclut le troisième set 6-4. C’est au tour du clan argentin, maillots bleu ciel et blanc et chapeaux à paillettes, de chanter les louanges de son « campeon ».

Moutet se détache 4-2 dans le quatrième set. Nouveaux applaudissements, nouvelles salves de « Co-ren-tin, Co-ren-tin ». Londero débreake aussitôt. 4-4, Moutet balance un bras rageur vers son clan. 5-5, son adversaire l’imite, doigt sur sa tempe. Moutet repasse devant, 6-5. L’Argentin, biceps tatoués, s’énerve sur sa chaise. Le Français, lui, fait des sauts de cabri. Il serre le poing, lâche un « vamos » et se procure deux balles de set. Trois retours gagnants et ça fait 7-5. Moutet harangue la foule, le voilà revenu à deux manches partout.

Un soleil cuisant, un spectacle haletant, tous les ingrédients de Roland sont là. Le personnel vient arroser le court. Un peu trop au goût de Londero, l’Argentin refuse de jouer. Bronca des spectateurs. « Qu’on amène le filet », suggèrent-ils. Aussitôt dit, aussitôt fait. La terre tassée, la partie peut continuer.

Moutet est aussitôt inquiété. A 3-2, il perd sa mise en jeu. Sur sa chaise, son adversaire halète. L’horloge suisse indique trois heures pile de jeu. Sur une deuxième balle de Londero, Moutet s’engage dans son retour de coup droit, distille au dernier moment une amortie, l’Argentin se rue au filet, dépose une volée croisée, Moutet part la chercher derrière le filet et la remet dans le court pour recoller au score.

Rallyes et coups de génie

Mais à nouveau, il se retrouve en danger. L’Argentin finit par le faire craquer (4-3). Les jambes tirent. Les bras tremblent. A Moutet de se procurer deux balles de débreak. Le Français n’est pas récompensé malgré des coups inspirés : il dépose une amortie, l’Argentin est dessus, Moutet le lobe, l’Argentin est encore dessus. Le Français, dépité, met les mains sur les hanches. Londero a eu chaud mais il reste devant.

On est dans le money time, le Français dos au mur. Le public, debout, donne tout ce qu’il peut. Mais à 5-4, l’Argentin sert déjà pour le match. Les deux premières balles de match sont sauvées : un superbe retour de revers croisé que Londero ne peut remettre, puis un coup de fusil en coup droit. Egalité. Moutet fait visiter les quatre coins du terrain à l’Argentin : au bout de 24 frappes, il parvient à le faire craquer. C’est une balle de 5-5. « Po po po po po po pooo ».

Raté. Nouveau coup de fusil en coup droit du Français. Nouvelle balle de débreak. Moutet voit sa défense lobée retomber juste derrière la ligne de fond de court. Puis échoue à sa troisième occasion de recoller au score.

Voilà la troisième balle de match pour Londero, puis la quatrième. Un dernier service gagnant sur le T et l’Argentin s’écroule à plat ventre sur le terrain. Il a gagné le droit d’affronter le roi Nadal en huitièmes de finale.

A côté de lui, Corentin Moutet envoie des baisers au public puis s’arrête signer des autographes. Il y a encore quelque temps encore, il aurait pris la tangente sans un regard. Ce vendredi, le petit gaucher a peut-être perdu mais il a enfin grandi.