Canal+, lundi 3 juin à 21 heures, série

Curieux exercice que de transposer en français – et quasiment plan par plan – la très réussie série Fleabag, de la Britannique Phoebe Waller-Bridge, dont la deuxième saison, disponible depuis quelques jours sur Amazon Prime, fait l’objet de critiques dithyrambiques.

Le projet, porté par Canal+ et confié à la scénariste et réalisatrice Jeanne Herry (Elle l’adore, Pupille), évite non seulement la catastrophe, mais s’en sort plutôt très bien, même s’il risque de diviser les fans de l’original.

Lire la critique de « Fleabag » : Un théâtre du désir sexuel finement excentrique

« Mouche », trentenaire plus ou moins célibataire et sans enfant, est en train d’à peu près tout rater. Son bar à thé, dont elle tient les rênes seule depuis la mort de sa meilleure amie et associée, Nini (formidable India Hair, vue entre autres dans Camille redouble), peine à attirer le client ; elle navigue entre un ex-amoureux bébête et des aventures sans grand lendemain avec des amants réduits à leurs caractéristiques les plus triviales (gros pénis, dents de castor…), et entretient des rapports rugueux avec un père mutique et lâche, une sœur flippée et une belle-mère odieuse. Mouche ne prend rien au sérieux, se moque de tout, provoque tout le monde – surtout ceux qu’elle aime –, refuse de grandir.

Et puis, Mouche trimballe une profonde tristesse, dont on ne saura l’origine qu’à la fin de la saison. Loin de plomber l’ambiance, ce fil rouge mélancolique donne une densité et une profondeur intéressantes à ces six épisodes de trente minutes qui contiennent, pour autant, leur dose de poilade.

Finement trash

La rigueur de la mise en scène, qui colle au texte (à l’origine écrit pour le théâtre) et au ton de Fleabag, est pour beaucoup dans la réussite de cette adaptation, et fournit un riche terrain de jeu aux acteurs pour reprendre ce texte finement trash, qui élève la blague scato ou sexuelle à un niveau rarement atteint.

Et ses acteurs s’en tirent haut la main, à commencer par Camille Cottin, qui a la finesse de ne pas chercher à reproduire les mimiques de Phoebe Waller-Bridge et développe sa propre palette. Elle excelle notamment dans l’exercice qui consiste à « briser le quatrième mur » : Fleabag/Mouche s’adresse à la caméra le temps de brefs apartés souvent désopilants, qui sont pour elle autant d’occasions de recréer avec le public la complicité qu’elle a perdue depuis la mort de sa mère, d’un cancer, et de Nini, qui s’est suicidée.

La relation passive-agressive qu’elle entretient avec sa sœur, jouée par Suliane Brahim – qui surjoue brillamment la normalité et le self-control, jusqu’à paraître folle (on osera dire qu’elle surpasse Sian Clifford, l’actrice qui interprète le rôle dans la version originale) –, fournit les meilleures scènes et livre une anatomie touchante, et souvent très drôle, des rapports entre sœurs. On adorera également détester Anne Dorval, dans le rôle archétypal de la belle-mère poison, un choix aussi judicieux que celui d’Olivia Colman (La Favorite) pour la version anglaise.

Les fans purs et durs crieront sans doute au scandale, ou en tout cas à l’inutilité de cette adaptation pour Canal+. C’est oublier que le public français, en dehors des spécialistes, connaît peu l’original, uniquement diffusé sur Amazon Prime et dont la première saison remonte à 2016. Pour ceux qui seraient passés à côté, Mouche offre une belle session de rattrapage. Pour les autres, rien n’empêche d’aimer les deux.

MOUCHE - Teaser court
Durée : 00:32

« Mouche », adapté et réalisé par Jeanne Herry, avec Camille Cottin (France, 2019 6 x 28 min). Mycanal.fr/series