Au Paraguay et à Java, « vert de rage » et d’espoir
Au Paraguay et à Java, « vert de rage » et d’espoir
Par Catherine Pacary
La série documentaire ne se contente pas de dénoncer les scandales environnementaux, elle apporte des solutions.
Des champs verts de soja transgénique à l’infini, un tracteur qui répand ses engrais toxiques, un enfant hydrocéphale dans les bras de sa mère. « Le Paraguay raconte l’histoire de notre monde », lance la voix off, comme pour dire « Ne zappez pas ! Ce pays d’Amérique centrale et nous sommes liés. Plus que vous l’imaginez », chacun étant situé à une extrémité de la même chaîne de production mondialisée. Martin Boudot lance ainsi en prime time sur France 5 Vert de rage, série documentaire consacrée aux scandales environnementaux. Une production innovante, qui s’appuie sur ses propres études scientifiques – d’où les quatre mois en moyenne d’enquête par numéro – et ne se contente pas de dénoncer, mais propose des solutions. Après cinq ans passés à Cash Investigation (France 2), Martin Boudot y tenait. « A Cash Investigation, à la fin du visionnage, on est accablé, explique-t-il de Prague, le 31 mai. Alors qu’avec Vert de rage, on fait avancer les choses, bouger les lignes. »
Deux inédits s’enchaînent, l’un sur la culture extensive de « l’or vert » au Paraguay, qui met en péril la vie des villageois alentour, et l’autre sur le Citarum à Java, fleuve d’Indonésie le plus pollué au monde, par l’industrie textile. Chaque épisode suit le même scénario, « un fil narratif, reprend Martin Boudot, qui permet de remonter du constat jusqu’aux responsabilités, grâce à l’investigation ». Chapitre 1 donc, l’état des lieux. A San Juan (Paraguay), 450 habitants, les enfants souffrent de maux de tête, et deux fillettes sont mortes à quelques heures d’intervalle ; sur l’île de Java aussi les enfants de Nour ont la nausée, mais là-bas c’est à cause de l’eau souillée. Dans les deux cas, les familles tentent de se mobiliser mais manquent d’études épidémiologiques pour prouver l’origine des maladies qui touchent leurs enfants. L’idée de Vert de rage est de leur apporter cette « preuve » manquante.
Des résultats tangibles
Chapitre 2, les scientifiques arrivent à la rescousse. Martin Boudot prélève – avec un goût certain pour la mise en scène… – des échantillons (d’eau polluée ou de plants de soja, c’est selon) pour faire établir leur degré de toxicité ; en parallèle, des prélèvements de salive et de cheveux effectués sur les enfants permettent d’évaluer l’impact des pollutions sur l’organisme. Les résultats affolent. Au Paraguay, 45,9 % de l’ADN des enfants testés est endommagé (contre 27,6 % pour une population éloignée des cultures de soja transgénique). A Java, l’eau prélevée à la sortie des usines Pan Asia est « quasiment une eau d’égout ».
Bilans d’analyses sous le bras (chapitre 3), Martin Boudot frappe à la porte des pollueurs, comme Monsanto, ou des revendeurs. Le patron de l’API, lobby du textile indonésien, suggère ainsi « aux grandes marques de ne pas passer commande aux usines polluantes ». Mais ces dernières ne sont pas encore prêtes à payer 10 % plus cher leur matière première… A l’autre bout de la chaîne, le consommateur, européen, américain, français, est responsabilisé. Il lui suffit de lire les étiquettes : « S’il est écrit “Made in Indonésie”… »
Vert de rage sollicite enfin les hautes instances, les ministres concernés – avec des résultats tangibles. Toutes les données recueillies sont ensuite remises aux populations locales, afin qu’elles organisent leur défense. Cette efficacité fait oublier l’incarnation un poil excessive de l’investigation et devrait inciter la chaîne à transformer Vert de rage en rendez-vous régulier.
Vert de rage. Série documentaire de Martin Boudot (Fr., 2019, 2 x 52 min).