Au stade Jean-Bouin (Paris), le 2 juin. / AFP/Lucas Barioulet

Dans le XVIe arrondissement de Paris, juste à côté du Parc des Princes, le nom du stade Jean-Bouin honore la mémoire d’un athlète français mort pendant la première guerre mondiale. Mais pour combien de temps encore ? D’après les informations du Monde, le club de rugby du Stade français envisage de recourir à un contrat de « naming », pour donner à l’enceinte historique où jouent les Parisiens le nom d’une marque commerciale, en échange d’un chèque.

Propriété depuis deux ans du milliardaire d’origine allemande Hans-Peter Wild, le club du Stade français entend assumer la gestion de Jean-Bouin − et donc le droit de monnayer son nom. Les dirigeants ont d’abord besoin de l’accord de la mairie, qui possède pour l’instant l’équipement.

Le prochain conseil de Paris, qui se tiendra du 11 au 14 juin, se prononcera rapidement sur la question. En cas de vote favorable, la mairie confiera au Stade français la gestion de l’infrastructure pour une période de dix ans à partir du 1er juillet 2019, par l’intermédiaire d’une nouvelle convention d’occupation du domaine public (CODP). Le document, dont Le Monde a pris connaissance, est déjà rédigé et signé par Hubert Patricot, président du Stade français et homme de confiance de M. Wild.

Le texte évite encore de préciser le nom de la marque qui paierait pour donner son nom au stade. La réponse pourrait se trouver du côté de Hans-Peter Wild : le milliardaire né en Allemagne et installé en Suisse a fait fortune dans l’industrie du jus de fruit. Sa marque principale, Capri-Sun, barre déjà le maillot du club.

Près de deux millions d’euros par an

Depuis sa prise de contrôle, l’entrepreneur investit à perte dans le Stade français. Sa première saison de plein exercice, en 2017-2018, a entraîné un déficit record de 18 millions d’euros. A défaut d’avoir déjà annoncé la marque associée au « naming », les dirigeants du club partent du principe que ce contrat pourrait s’élever à une somme estimée entre 2 et 2,4 millions d’euros par an entre 2020 et 2029, selon leur compte prévisionnel d’exploitation.

Le montant semble significatif : d’après le scénario des dirigeants, cette somme représenterait un tiers des recettes d’exploitation escomptées. Cette prévision semble également optimiste, si l’on se fie au « naming » d’autres installations : selon l’Agence France-Presse, le groupe de télécoms Orange s’est engagé en 2016 à verser 2,45 millions d’euros par an pendant dix ans pour apparaître dans le nom du Vélodrome de Marseille.

En 2015, la mairie de Paris avait déjà autorisé un autre partenariat de ce type : le groupe AccorHotels verse une somme évaluée à 3,25 millions par an pour apposer pendant une décennie son nom au Palais omnisports de Bercy (renommé AccorHotels Arena), propriété de la mairie de Paris. Un partenariat plus rentable pour la Ville, mais à l’exposition beaucoup plus large pour la marque : l’activité du stade Jean-Bouin repose, elle, quasi exclusivement sur les matchs de l’équipe professionnelle du Stade français.

Un « processus de marchandisation »

A l’époque, le président du groupe communiste au conseil de Paris, Nicolas Bonnet-Oulaldj, expliquait déjà au Monde son opposition à de tels partenariats : « Avec le “naming”, une marque rebaptise l’espace public. On sort de l’idée du patrimoine public qui peut être utilisé pour un travail de mémoire ou de transmission culturelle et on entre dans un processus de marchandisation. »

La convention du stade Jean-Bouin comprend aussi des possibilités de résiliation pour le Stade français. Une éventualité dans deux cas de figure : si l’architecte du stade – en l’occurrence le Français Rudy Ricciotti – refuse le recours au « naming », ou si le conseil de Paris estime que la marque choisie pourrait « porter atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs ».

Contacté, le cabinet de Rudy Ricciotti n’a pas répondu au Monde. L’architecte a reconstruit le stade en 2013 pour le doter d’une capacité de 20 000 places assises, avec près de 160 millions d’euros de financement public. La mairie de Paris n’a pas non plus donné suite à notre sollicitation. Pas plus que la direction du club, dont le patron, Hans-Peter Wild, avait affiché son intention, il y a deux ans, de « [capitaliser] sur l’ADN du Stade français et ses valeurs ».