Des gravures préhistoriques exceptionnelles découvertes à Angoulême
Des gravures préhistoriques exceptionnelles découvertes à Angoulême
Par Pierre Barthélémy
Chevaux, aurochs, cervidé : des représentations figuratives inédites à la fin du paléolithique remettent en question nos conceptions de l’art de cette époque.
Plaquette de grès vieille de 12 000 ans comportant des gravures représentant des animaux (chevaux, aurochs, cervidé), découverte à Angoulème en décembre 2018. / DENIS GLIKSMAN / INRAP
Lorsque, en novembre 2018, on avait visité le site préhistorique que l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) fouillait derrière la gare d’Angoulême (Charente), on était venu trop tôt. Quelque 200 000 morceaux de silex, dont plusieurs centaines de pointes de flèches, étaient déjà sortis de terre, qui racontaient l’histoire d’un lieu occupé par des groupes humains entre 8 000 et 12 000 ans avant aujourd’hui.
Mais le clou du spectacle était encore enfoui : une petite plaque en pierre portant plusieurs gravures d’animaux qui a été présentée mercredi 5 juin à Paris. C’est une trouvaille exceptionnelle : « La dernière œuvre figurative du paléolithique », dit Miguel Biard, l’archéologue de l’Inrap qui était le responsable scientifique de la fouille, au sujet de cette plaquette vieille de douze millénaires.
Sa découverte s’est jouée à peu de choses. Nous sommes le 20 novembre 2018. La fouille se termine car le terrain doit être rendu trois jours plus tard à l’aménageur, qui va y construire un centre d’affaires avec bureaux, hôtel et espace de conférences. Un morceau de grès plat de 18 cm sur 23, la taille d’un petit cahier d’écolier, a été ramassé, tout sale. Miguel Biard note que le bord porte des « enlèvements anthropiques ». En clair, un humain de la préhistoire a intentionnellement retiré des morceaux de cette petite dalle avec un outil. Sans ces traces, le caillou aurait fini au rebut et personne n’en aurait entendu parler.
« Coach ! Y’a un bourrin ! »
L’archéologue le met dans un sac. « Mais je suis pris d’un remords, d’une lumière, poursuit Miguel Biard. Je dis à un collègue : “Laurent, est-ce que tu peux me laver ça délicatement, au doigt ? On n’est pas à l’abri d’une gravure…” Quand il revient quelques minutes plus tard, il s’exclame : “Coach ! Y a un bourrin !” Cela s’est joué à une étincelle, comme beaucoup de découvertes importantes. »
Le « bourrin » en question est joliment gravé. Si cette œuvre se voit, c’est parce que son auteur a repassé plusieurs fois dans les traits pour les approfondir. Mais ce cheval n’est pas seul sur cette face de la plaque. En regardant très attentivement, on finit par distinguer d’autres animaux qui lui sont superposés : une autre esquisse, plus petite, de cheval, mais surtout un cervidé gracile aux pattes plus fines et ce qui est sans doute un aurochs, l’ancêtre disparu des bovidés actuels, à la silhouette plus massive, plus rectangulaire. Ce dernier est entouré d’un faisceau de traits.
Malheureusement, le support a été brisé et la partie où figuraient les têtes des trois principaux animaux a disparu. Sur la face B de la plaque se trouve un autre herbivore pas vraiment identifié.
Ce sont les dernières représentations figuratives du paléolithique. / DENIS GLIKSMAN / INRAP
Rattachée au laboratoire « De la préhistoire à l’actuel : culture, environnement et anthropologie » (Pacea, CNRS/université de Bordeaux/ministère de la culture), Valérie Feruglio est spécialiste de l’art préhistorique et elle a notamment travaillé sur la grotte Chauvet. C’est elle qui a étudié la plaquette d’Angoulême. « Elle est faite d’un matériau impropre à la taille, à mi-chemin entre le grès et le silex, explique-t-elle. En revanche, c’est un joli support pour y mettre des œuvres : on peut imaginer que, quand on entamait sa surface gris clair avec une pointe de silex, on enlevait la patine superficielle et on faisait ressortir un trait bien blanc. A l’époque, la lecture des gravures était immédiate. »
La préhistorienne a travaillé sur les images numériques de la dalle, enregistré tous les traits qu’elle décelait et notamment ceux, très fins, qui correspondent aux ombres et au pelage du cheval principal, lequel a été gravé le premier. Puis elle a « démêlé tout cet embrouillamini » pour distinguer ce qui appartenait à tel ou tel animal. « Dans tous les cas, précise Valérie Feruglio, les traits sont assurés, faits par des personnes qui maîtrisent parfaitement l’anatomie, le dessin et les techniques de la gravure. Il y a un vrai savoir-faire et aucune hésitation. »
« C’est comme si on avait découvert un alien »
Si cette découverte angoumoisine se révèle exceptionnelle, c’est parce que personne ne s’attendait à trouver de l’art figuratif à la fin du paléolithique. « La culture dans laquelle cette plaque se situe n’en fait plus, explique Valérie Feruglio. Elle se focalise sur des décors géométriques, des faisceaux de traits, des chevrons, des éléments géométriques. On trouve des galets peints avec des traits rouges ou des points. » Mais pas d’animaux dessinés avec un tel souci naturaliste. Les derniers exemplaires connus proviennent du Rocher de l’impératrice, à Plougastel-Daoulas (Finistère)… et ils ont deux mille ans de plus.
Il faut imaginer des artistes de notre début de troisième millénaire se mettant à exécuter des fresques de Pompéi. « On a des rapprochements formels frappants entre le Rocher de l’impératrice et Angoulême, assure la spécialiste. Les chevaux sont en tout point comparables, ce qui implique une continuité culturelle au niveau de l’expression graphique. »
En repoussant la limite du figuratif au paléolithique, cette plaquette gravée va obliger les chercheurs à revisiter leur vision de l’art préhistorique. « C’est comme si on avait découvert un alien », résume l’as du franc-parler qu’est Miguel Biard. La fin du paléolithique est une grande période de changement. Les temps glaciaires s’achèvent, le climat se réchauffe, le renne a cédé la place au cerf. Les sociétés de chasseurs-cueilleurs se transforment elles aussi, ainsi que les cadres spirituels auxquels les productions artistiques sont rattachées.
« On est dans un monde où les organisations sont très différentes, ce qui se traduit par une révolution des symboles, explique Boris Valentin, professeur d’archéologie préhistorique à l’université Paris-I. Pour cette époque, on attendait soit rien du tout, soit du purement géométrique et on tombe sur de l’animal ! C’est une réminiscence très étonnante parce que ces images ont un pouvoir et qu’il faut une vraie force pour maintenir cette symbolique. »
Le débat que vont susciter les gravures préhistoriques d’Angoulême ne font que commencer et les questions abondent. « S’agit-il d’un acte de dissidence ? Veut-on retourner à des temps anciens en se raccrochant à des valeurs plus sûres ? Ou est-ce que ces représentations ont continué pendant tout ce temps mais que nous n’en avons pas retrouvé les jalons ? », s’interroge Valérie Feruglio. Miguel Biard, quant à lui, se demande si on a brisé la plaque pour décapiter les animaux et si d’autres indices sur les sociétés préhistoriques ne se trouvent tout simplement pas à Angoulême. Une partie du site, qui ne faisait pas partie du projet d’aménagement, n’a en effet pas été fouillée. Il y a une école de danse dessus.