Coupe du monde de football : l’écart abyssal des primes entre hommes et femmes
Coupe du monde de football : l’écart abyssal des primes entre hommes et femmes
Par Lætitia Béraud, Rémi Dupré
Les primes offertes par la FIFA aux sélections participant au Mondial féminin ont doublé en quatre ans mais l’écart avec celles des hommes se creuse encore.
L’Australienne Samantha Kerr (en jaune) fait partie des joueuses qui dénoncent l’écart entre les primes accordées aux joueuses et au joueurs en Coupe du monde. / Raad Adayleh / AP
Les primes prévues pour les équipes participant à la Coupe du monde féminine de football seront doublées cette année par rapport au précédent Mondial au Canada, en 2015. La hausse de l’enveloppe de 13,3 millions à 26,6 millions d’euros avait été annoncée en grande pompe, en octobre 2018 par le président de la Fédération internationale de football association (FIFA), Gianni Infantino. « C’est un message important adressé aux femmes dans le monde du football », avait alors déclaré le président de l’instance internationale.
Ce message a pourtant eu du mal à passer auprès de certaines joueuses, notamment aux Etats-Unis, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Norvège et en Suède. Car, en rehaussant aussi au passage les primes des équipes masculines à la Coupe du monde 2018 en Russie, de 317,9 à 355,2 millions d’euros, la FIFA a creusé l’écart entre hommes et femmes.
« A ce rythme-là, il faudra 20 ans pour atteindre l’égalité des primes », dénoncent les Australiennes dans une campagne lancée sur Internet quelques jours avant le Mondial. « Une autre génération de joueuse aura passé », regrettent-elles dans leur clip vidéo sur leur site « Our goal is now » (« Notre but est maintenant »).
Our journey is one of struggle.Our sisters have given us strength.But our fight goes on.#OurGoalisNow… https://t.co/YQJVxAytK8
— thepfa (@The PFA)
Roxana Maracineanu réclame un geste « symbolique »
Sixièmes au classement féminin de la FIFA, les Matildas, si elles remportent la Coupe du monde en France, toucheront 3,5 millions d’euros, bien loin des 32 millions reçus par l’équipe de France masculine pour son titre en 2018. Mais surtout, deux fois moins que leurs homologues masculins australiens qui se sont « juste » qualifiés pour le Mondial 2018.
Leur campagne met aussi l’accent sur le fait que les joueuses dépendent plus des revenus perçus en sélection nationale que les hommes, à cause des bas salaires touchés en clubs, ou de l’inexistence de championnat professionnel dans certains pays.
En France, les joueuses de la sélection, toutes professionnelles, sont plutôt discrètes sur le sujet. Quelques jours avant la Coupe du monde, Gaëtane Thiney balayait toute polémique estimant que les femmes rapportent moins que les hommes.
La ministre française des sports a cependant haussé le ton vendredi 7 juin. « Vu l’argent qu’il y a dans le football masculin, on pourrait envisager quelque chose de symbolique de la part de la FIFA ou de la Fédération française », a déclaré Roxana Maracineanu au micro de Franceinfo.
L’organisation internationale communique peu sur la Coupe du monde féminine d’un point de vue financier. Dans ses rapports annuels, le Mondial féminin est souvent mélangé avec d’autres compétitions qu’elle organise. Impossible, ainsi, de savoir si la compétition est rentable ou pas.
Le président de la FIFA, Gianni Infantino (à gauche), et le président de la FFF, Noël Le Graët, avant le 69e Congrès de la FIFA à Paris, le 5 juin, avant le lancement de la Coupe du monde féminine. / Alessandra Tarantino / AP
« On ne sait pas combien ça rapporte et combien ça coûte »
« Tant qu’il n’y a pas une déclaration séparée des profits et pertes sur la Coupe du monde féminine, on ne sait pas vraiment combien ça rapporte et combien ça coûte, confie Moya Dodd, ex-internationale australienne et membre du comité exécutif de la FIFA de 2013 à 2016. Et tant qu’on n’a pas ça, l’argument selon lequel les femmes sont moins rentables n’est pas très convaincant, surtout si on considère l’écart historique d’investissement ».
La relation entre la FIFA et les femmes est pour le moins contrariée, l’instance ayant tardé à saisir l’importance du football pratiqué par les femmes. Les premières Coupes du monde furent disputées dans les années 1970 en dehors du cadre de la FIFA, et donc quelque peu clandestinement.
Avant ces années-là, plusieurs fédérations interdisaient aux femmes de jouer, notamment en Angleterre, en Allemagne ou en France. Au niveau international, il faudra attendre 1988 pour qu’une compétition test soit lancée par la FIFA, puis 1991 pour la première Coupe du monde officielle.
« Si on pense en termes économiques, de business, on pourrait dire que le football masculin a exclu le football féminin du marché de façon illégale, et que les hommes doivent donc payer une compensation aux femmes pour le préjudice économique », analyse Stefan Szymanski, professeur d’économie à l’Université du Michigan aux Etats-Unis et auteur de Soccernomics, un livre qui analyse les succès et échecs des nations en football au prisme de l’économie. Il estime ce préjudice à des milliards d’euros. « Et si on avait des milliards d’euros aujourd’hui dans le football féminin, on pourrait créer un produit commercial viable », affirme-t-il.
Salaire minimum identique pour joueuses et joueurs en Australie
En dehors de la question des primes, les conditions offertes aux joueuses en Coupe du monde tendent à se rapprocher de celles des hommes. Cette année, le Mondial se disputera sur des pelouses en herbe et non synthétiques comme au Canada en 2015. L’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR) sera utilisée comme lors du Mondial masculin en Russie en 2018. Mais quelques différences subsistent, notamment sur la classe des billets d’avion ou le nombre de bus mis à disposition pour les équipes.
« Ces comparaisons font les gros titres des journaux mais le chemin est long pour obtenir l’égalité sur tous ces aspects », explique Moya Dodd. « Même si vous égalisez une chose, il y aura encore des centaines de différences, constate-t-elle. Ce que j’aimerais voir, c’est une égalité dans les efforts. Est-ce qu’il y a eu autant d’efforts pour encourager les petites filles et les petits garçons au niveau local ? Pour commercialiser la Coupe du monde féminine autant que la masculine ? Pour développer des nouvelles compétitions, des partenariats avec des sponsors, des infrastructures, éduquer les entraîneurs ? ».
La question n’est pas que l’affaire de la FIFA. Elle se pose pour les fédérations, les sponsors, les clubs, les gouvernements. Dans certains pays, les joueuses passent par la justice pour faire valoir leurs droits. Comme les championnes du monde américaines qui dénoncent la différence de traitement avec leurs collègues masculins et ont attaqué, en mai, leur fédération pour « discrimination ».
De l’autre côté de la planète, les Australiennes essayent d’ouvrir la voie. « Changer cela avant la Coupe du monde serait vraiment cool et on espère que tous les pays vont nous suivre », déclarait l’attaquante vedette australienne Samantha Kerr à propos des primes de la FIFA, quelques jours avant le Mondial.
Son souhait semble avoir été entendu, du moins du côté de sa fédération. Celle-ci a annoncé vendredi, à quelques heures de l’ouverture de la Coupe du monde, que joueuses et joueurs toucheraient désormais les mêmes salaires minimums en championnat australien. Pour ce qui est des primes en équipe nationale, silence radio.