« Il est urgent que Ouagadougou retrouve une alimentation plus saine »
« Il est urgent que Ouagadougou retrouve une alimentation plus saine »
Par Armand Béouindé
« CARNET DE SANTÉ ». Plaidoyer d’Armand Béouindé, maire de la capitale burkinabé, pour que les villes africaines s’engagent dans une lutte contre la malbouffe.
Vendeur de rue à Ouagadougou en mars 2019. / OLYMPIA DE MAISMONT / AFP
Tribune. A l’aube, dans les rues de Ouagadougou, les femmes transportent le benga. Ce plat de niébé avec du riz ou du couscous de maïs s’achète un peu partout dans les échoppes de bord de route. Mais, alors qu’elle devrait embaumer, la préparation a plutôt une odeur âcre car des produits chimiques sont utilisés pour accélérer la cuisson et l’huile de friture est trop souvent réutilisée. Alors, pour masquer tout cela, les vendeurs de rue ajoutent une généreuse quantité de sel et parfois même des petits poissons, frits eux aussi dans la vieille huile de palme ou d’arachide.
Alors que notre ville se développe à grande vitesse, le niveau de vie y reste bas. Les gens travaillent de longues heures, se nourrissant presque exclusivement de ce benga de moins en moins bon pour la santé. Le riz et les haricots devraient fournir de bonnes protéines et des calories en quantité, mais ce n’est pas le cas lorsqu’ils sont saturés de sel et d’huile rance, cuisinés sur des réchauds alimentés au charbon et servis dans des sacs plastiques qui sont non seulement mal nettoyés, mais gardent la poussière et la suie déposées sur le benga pendant la cuisson.
Calories « vides »
Mon pays, le Burkina Faso, n’est pas un pays riche. La population de Ouagadougou est tellement occupée à travailler pour survivre que les trois quarts d’entre eux n’ont pas le temps de se préparer des repas nourrissants, et leur santé en pâtit.
A cause de ce manque de nourriture saine, la population commence même à souffrir de maladies des nations riches. En 2016, le centre hospitalier de Yalgado-Ouedraogo, qui est notre centre médical le plus ancien, a rapporté que plus de 60 % des hospitalisations au service de neurologie étaient dues à des AVC et que 11,5 % des cas avaient été mortels. Au CHU de Tingandogo, les patients victimes d’AVC occupent d’ailleurs plus des trois quarts des lits du service de neurologie.
Le benga incarne cette trop grande teneur en sel et en mauvaises graisses de notre alimentation. Mais il y a aussi le sucre, autre source de grande préoccupation, car couramment ajouté aux plats traditionnels. Sans parler des fast-foods, si populaires, qui se multiplient dans les rues de Ouagadougou, imitant les chaînes américaines et européennes. Or la nourriture qu’ils servent ne contient que des calories « vides » et très peu de nutriments.
La première étape de notre combat consiste donc à appliquer des règles nutritionnelles et des règles d’hygiène à l’échelle de la ville, et à garantir que tous les principaux établissements qui servent de la nourriture – pas seulement les restaurants, mais les écoles, les hôpitaux, et même les vendeurs de rue – changent leurs manières de cuisiner et d’assaisonner les plats. Le benga sera certes meilleur, mais il est nécessaire que tous les produits alimentaires vendus respectent ces normes.
Dans cette entreprise, nous sommes soutenus par le Larlé Naba Tigré, qui est un ministre du Mogho Naaba, l’empereur des Mossi. Larlé Naba dirige la ferme de sa famille depuis plus de trente ans. Il y a cinq ans, après avoir été membre du Parlement pendant vingt ans, il a commencé à cultiver des haricots mungo, qui représentent une alternative au benga traditionnellement utilisé. Désormais, il milite activement pour l’introduction des haricots mungo dans le régime burkinabé, car ils sont plus faciles à préparer sans huile.
Grâce au travail de Larlé Naba, les cantines des écoles de Ouagadougou, l’armée et les centres hospitaliers, notamment Yalgado-Ouedrago, ont introduit ce haricot mungo dans leurs menus.
Double fléau
Nous sommes aussi en train de lancer une campagne de publicité à l’échelle de la ville, qui s’inspire du modèle du Cap, en Afrique du Sud. Le gouvernement de la ville du Cap a mis en lumière les problèmes de santé liés à la consommation de sodas et de boissons sucrées en montrant des personnes défigurées par le diabète et par d’autres maladies dues à la surconsommation de sucre. A Ouagadougou, nous n’allons pas nous concentrer seulement sur les boissons et les aliments trop sucrés, mais inclure aussi les aliments salés.
Les affiches montreront comment ces nouvelles habitudes alimentaires nous ont conduits à une situation problématique. Notre population est confrontée à une crise incompréhensible qui associe à la fois la malnutrition et l’obésité, car les seuls aliments que nous trouvons facilement à notre disposition ne nous nourrissent pas.
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Le Burkina Faso n’est pas le seul pays qui doit faire face à ce double fléau. Dans toute l’Afrique subsaharienne, les gouvernements nationaux sont confrontés à des transformations majeures du régime alimentaire des populations, avec des pénuries d’aliments de base traditionnels et une disponibilité de plus en plus grande d’aliments transformés, option pratique et parfois peu chère.
Mon conseil à Ouagadougou est convaincu qu’il est urgent que nous ayons tous une alimentation plus saine. Notre travail ne se limite pas à obliger les vendeurs de rue à faire un benga ou d’autres plats qui soient plus nourrissants, et à interdire les sodas et les aliments frits. Tous ceux qui servent de la nourriture doivent comprendre le rôle qu’ils peuvent jouer pour ramener notre nation à une meilleure santé. Nous savons que les personnes qui font avancer Ouagadougou ont besoin d’une meilleure alimentation pour pouvoir elles aussi continuer à aller de l’avant.
Armand Béouindé est le maire de Ouagadougou, l’une des 54 villes du Partenariat pour des villes-santé, un réseau mondial soutenu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Sommaire de notre série « Carnet de santé »
Chaque mercredi, Le Monde Afrique propose une enquête, un reportage ou une analyse pour décrypter les avancées des soins et de la prévention sur le continent.
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