La ressortie en salle du Professeur, de Valerio Zurlini, est un événement pour bien des raisons. Il sera donné enfin au spectateur de découvrir la version intégrale d’un film qui fut en son temps distribué avec des coupes conséquentes (plus de vingt minutes) imposées par son coproducteur et acteur principal, Alain Delon. Mais aussi de revoir et reconsidérer cette œuvre qui laissa la critique française perplexe à sa sortie en 1972 – à quelques exceptions près, dont Jean de Baroncelli dans Le Monde. Pas vraiment hostile, mais peu emballée par ce qu’elle ne parvenait pas à catégoriser avec précision.

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Si Le Professeur est désormais considéré comme une des expériences ambitieuses et courageuses tentées par la vedette française, c’est sans doute parce que son auteur a été, durant toute sa carrière, un cinéaste rare et exigeant. Le cinéma de Valerio Zurlini, souvent qualifié paresseusement d’intimiste et de sensible, compte peu de titres : neuf longs-métrages entre 1959 et 1976 et la disparition prématurée du réalisateur, en 1982, à l’âge de 56 ans, aura contribué à donner à son œuvre une aura particulière, maudite et tragique à la fois.

C’est, dit-on, Luchino Visconti qui présenta Alain Delon à Valerio Zurlini. Celui-ci lui fit lire un scénario qu’il avait déjà proposé à Marcello Mastroianni. L’acteur accepta immédiatement, voyant dans le rôle qu’on lui proposait une manière d’échapper à ses habitudes. Zurlini envisageait le film comme le dernier volet d’une trilogie racontant l’histoire, sur plusieurs années, d’une riche famille de la bourgeoisie coloniale italienne. Le Professeur constitue finalement la troisième partie de cette fresque qui ne sera jamais tournée. Le destin de son personnage est celui de l’ultime représentant de cette dynastie déchue, un homme déclassé, exilé à l’intérieur même de l’Italie, à l’intérieur de lui-même.

Poème mélancolique

Le titre italien du Professeur est La prima notte di quiete (« la première nuit de tranquillité »), un vers de Goethe signifiant métonymiquement la mort. Le film est, en effet, marqué par le dégoût, le désespoir et la mort. C’est un poème mélancolique autant qu’un récit trivial. Il est aussi la description d’une brûlante confrontation : celle d’un personnage nihiliste et d’une coriace exigence spirituelle.

Daniele Dominici est un professeur de lettres remplaçant qui arrive à Rimini (Emilie-Romagne), en plein hiver, pour enseigner dans un lycée. Peu inspiré par ce qui ne semble pas être vraiment une vocation, il fréquente le soir des parties de poker au cours desquelles il perd sans émoi son argent et se fait quelques amis douteux. Marié à une femme qu’il console complaisamment lorsqu’elle est abandonnée par un amant, il est fasciné par une étudiante dont il tombe amoureux. Celle-ci est la maîtresse d’un cynique et dépravé jeune homme riche.

Rimini apparait comme le théâtre d’un ennui existentiel que l’on tente de conjurer grâce à divers divertissements débauchés

Le Professeur semble fonctionner sur le principe mélodramatique de la dernière chance : un personnage, parvenu prématurément au bout de ses expériences et de son existence, se voit offrir une passion à laquelle il ne croyait plus. Observateur de la vie de la jeune étudiante, Daniele Dominici va progressivement découvrir la vérité sur le passé de celle-ci, un passé dont chaque élément pourrait dénuer, une fois pour toutes, leur rencontre de toute qualité romantique.

La dimension psychologique et narrative primordiale du film réside dans son atmosphère, son ambiance hivernale et grise, son décor de station balnéaire désertée et brumeuse, fantomatique. Rimini apparait comme le théâtre d’un ennui existentiel que l’on tente de conjurer grâce à divers divertissements débauchés. Une bourgeoisie de parvenus trompe son désœuvrement dans les orgies, l’alcool et la drogue.

Vulgarité et sublime

Dans un tel contexte, tout sentiment amoureux n’est-il pas, dès lors, voué à n’être qu’une expérience douloureuse, voire masochiste ? La crudité dans la description des mœurs de l’entourage de Daniele Dominici paraît ainsi heurter toute possibilité de romantisme. Même si s’affirme toujours, toutefois, dans la peinture des personnages secondaires, la promesse d’une rédemption qui ne réduit pas ceux-ci aux pauvres figurines d’un programme tristement préétabli. Tous auront, en effet, au terme de la projection, dévoilé quelque chose d’une vérité inattendue de leur être.

Mais c’est bien dans cette contradiction, dans cette confusion mêlant une certaine abjection à la passion que se situe la singularité du film, comme s’il s’y jouait la rencontre de la vulgarité et du sublime. Mal rasé, d’une pâleur d’insomniaque, défait, constamment vêtu d’un pardessus beige, Alain Delon est ici au sommet de sa beauté, une beauté dont il livre une face sombre et bouleversante.

Le Professeur (Alain Delon) : bande-annonce (reprise HD 2019)
Durée : 01:54

Film italien de Valerio Zurlini (1972). Avec Alain Delon, Sonia Petrova, Giancarlo Giannini (2 h 12). lesfilmsducamelia.com/leprofesseur