A Bordeaux, l’errance ébouriffante de Massimo Furlan
A Bordeaux, l’errance ébouriffante de Massimo Furlan
Par Emmanuelle Lequeux
Avec « Travelling », spectacle vivant donné en ouverture de la saison culturelle de la ville, le roi de la performance décalée a entraîné les Bordelais dans étonnante une errance fluviale nocturne.
Un Bateau-Mouche qui tourne au train fantôme ? C’est avec l’étonnant projet de Massimo Furlan que s’est ouverte la saison « Libertés ! », les 13, 14 et 15 juin. Déplacer, se déplacer… L’artiste suisse, roi de la performance décalée, n’a que ce mot à la bouche. Alors, s’il investit les navettes qui naviguent sur la Garonne, ce n’est pas pour jouer au touriste. Direction le port industriel. « Il a un côté majestueux, avec ses navires et ses grues, mais en contraste très fort avec la ville bourgeoise. C’est une façon de raconter une autre histoire de Bordeaux, l’une nourrissant l’autre », résume ce metteur en scène de l’insolite, 53 ans, qui a grandi près d’un chantier naval de la côte italienne.
Souvenir d’enfance : ces voyages en train de nuit. « J’ouvrais grands les yeux sur les paysages industriels du nord de l’Italie, toutes ces lumières qui me fascinaient, ces gares désertes où j’imaginais des apparitions. » Comme pour donner vie à ces visions, il a donc imaginé un lent parcours en bateau qui, au fil du fleuve, ménage sur le rivage des saynètes hallucinatoires. « Des performeurs, des acrobates, qui surgissent sans prévenir dans le paysage, en rase campagne. »
Furlan a déjà mis en scène de telles errances, la première fois dans un train, mais aussi dans un car, qui propulsait ses passagers au cœur de la zone industrielle d’Athènes. « Il s’agit de proposer aux habitants un autre rapport au paysage qu’ils croient connaître, en le transformant en fiction, en théâtre. » A Bordeaux, il a choisi le fleuve « car il lie la ville à l’océan et il a été longtemps oublié. C’est aussi une façon, sans aborder du tout la question de front, d’inviter la ville à s’interroger sur son histoire, toutes ces marchandises humaines et non humaines qui y ont transité et fait naître cette richesse qui abonde dans les rues ».
Le « tuyau de Claveau »
Se déplacer, donc, jusques aux marges… Ce même désir l’a mené à Claveau, une cité-jardin tout au nord de la métropole, dans le quartier Bacalan. « Elle n’est pas même sur la carte officielle, et beaucoup de Bordelais n’ont jamais osé aller jusque-là, mais il y a cependant une forte poussée immobilière qui risque de déstabiliser le quartier », analyse-t-il. C’est à l’invitation des Nouveaux Commanditaires – ce programme, soutenu par la Fondation de France, conçoit des projets artistiques à l’initiative de la société civile – qu’il débarque dans cette « zone » des temps modernes, « où les gens sont heureux d’habiter malgré la misère ».
Invité par des citoyens de Claveau, dans un des pavillons d’après-guerre qui caractérisent son urbanisme, il réalise que « ça ne sent vraiment pas bon ! Pour être clair, ça sent la merde. Il y a dans la cité un énorme problème de canalisations : tout ce qui fait le lien est cassé ».
Furlan n’est pas là pour jouer au plombier, et les investissements sont estimés trop coûteux pour être réalisés. Alors que faire ? « Quand plus rien ne semble possible, on espère un miracle, quelque chose de magique, qu’il faut invoquer. Nous avons donc imaginé, avec les habitants, organiser une “procession du tuyau”, une fois par an. Pour réunir les gens et invoquer les puissances impuissantes. » Il fallait un symbole à ce combat : ainsi est née l’idée du « tuyau de Claveau », un dessert qui va être imaginé avec un chef pâtissier. « La rumeur de son existence court déjà, bientôt il pourra être produit et diffusé. » Le premier « bal du tuyau » a eu lieu au printemps, c’est désormais aux résidents de prendre le relais. Pour, qui sait, détrôner les fameux cannelés de Bordeaux ?
Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec Bordeaux-Métropole.