« Le vote populiste de droite est plus fort dans les régions les plus exposées à la concurrence chinoise »
« Le vote populiste de droite est plus fort dans les régions les plus exposées à la concurrence chinoise »
Propos recueillis par Marie Charrel
L’économiste italien Gianmarco Ottaviano dresse une carte de l’Europe souverainiste, en faisant le lien avec l’intensité de la concurrence chinoise.
Des partisans du président américain Donald Trump à proximité de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, à Calexico (Californie), le 5 avril. / Sandy Huffaker / REUTERS
Peur de l’immigration, hausse des inégalités, angoisse face au chômage… Parmi les nombreux facteurs expliquant l’émergence des populismes et le retour du protectionnisme, l’économie joue un rôle non négligeable, explique Gianmarco Ottaviano, économiste à l’université Bocconi de Milan.
Lors du forum de la Banque centrale européenne qui s’est tenu à Sintra (Portugal), du lundi 17 au mercredi 19 juin, il a présenté les conclusions de son dernier ouvrage, Geografia economica dell’Europa sovranista (« Géographie économique de l’Europe souverainiste », aux Editions Laterza, 2019) : les régions les plus affectées par la concurrence chinoise sont les plus concernées par la montée du vote en faveur des populismes classés à droite.
Votre ouvrage étudie le lien entre l’exposition de différentes régions à la concurrence chinoise et le comportement des électeurs. Qu’avez-vous découvert ?
Aux Etat-Unis, il apparaît clairement que les Etats, qui ont été le plus exposés au « choc chinois », c’est-à-dire à la concurrence de l’empire du Milieu après son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), au début des années 2000, sont également ceux où le vote en faveur de Donald Trump a été le plus fort.
Le constat est le même si l’on étudie le vote pour le Brexit au Royaume-Uni, ou celui pour la Ligue de Matteo Salvini en Italie : en Europe, il existe une corrélation forte entre l’exposition des régions qui ont le plus souffert de la concurrence chinoise, et les bons résultats électoraux des populismes de droite, dont la rhétorique est tournée vers le protectionnisme. Bien sûr, l’économie n’est jamais le seul facteur expliquant l’émergence de ces mouvements. Mais elle joue un rôle non négligeable.
En Italie, le vote pour la Ligue est très fort dans le Nord, qui est pourtant en bien meilleure santé que le Sud, où le chômage bat des records…
Oui. Mais les entreprises exportatrices du nord industriel ont souffert de la concurrence chinoise dans des proportions bien plus importantes que celles du Sud, plus faibles, et essentiellement tournées vers le marché national.
Comment différencier les effets de la concurrence chinoise de celle des autres pays à bas coût ?
En se penchant sur cette question, des chercheurs ont également étudié l’impact de la concurrence des pays de l’Est, lors de l’élargissement de l’Union européenne entre 2004 et 2007, sur les autres Etats membres. Les résultats sont similaires que ceux observés pour le choc chinois : dans les régions les plus exposées à la concurrence à bas coût de l’Est, où des usines ont fermé, le vote en faveur des populismes de droite a augmenté.
Cela peut-il aider à comprendre les mesures protectionnistes adoptées par Donald Trump ?
Absolument. La hausse des tarifs douaniers instaurée par le président américain vise justement à protéger les Etats qui ont le plus voté pour lui.
La Chine a-t-elle répondu de la même façon ?
Lorsqu’un gouvernement décide d’ériger des barrières douanières à l’encontre d’un pays concurrent, il cherche en général à minimiser l’incidence négative de ces barrières, qui peuvent se traduire par la hausse des prix des produits importés, sur sa propre population – et plus particulièrement sur son électorat. Lorsqu’elle instaure des mesures de rétorsion, la Chine, elle, cible le pays concurrent sans prendre en considération les conséquences négatives pour ces citoyens. C’est, ici, ce qui différencie un gouvernement démocratique d’un régime autoritaire.