Curtis Flowers, âgé de 49 ans, est incarcéré depuis vingt-deux ans.

L’histoire de Curtis Flowers n’en finit plus d’incarner les absurdités du système judiciaire américain. La Cour suprême des Etats-Unis a annulé, vendredi 21 juin, sa condamnation à mort, alors que cet Afro-Américain de 49 ans a déjà été jugé six fois pour un crime, dont il se dit innocent.

Le temple du droit américain ne s’est pas prononcé sur la culpabilité de Curtis Flowers, qui vit derrière des barreaux depuis vingt-deux ans. Mais la haute juridiction a annulé le dernier verdict prononcé contre lui, au motif que les citoyens noirs avaient été volontairement écartés par l’accusation lors de la sélection des jurés, ce qui est illégal. « Lors des six procès combinés, l’Etat a écarté 41 des 42 jurés noirs potentiels. Au sixième procès, il en a écarté cinq sur six », écrit la Cour suprême dans sa décision, prise à la majorité de sept juges sur neuf.

« Ce dossier est très inhabituel »

De plus, lors du dernier procès, l’accusation « a posé 145 questions aux cinq jurés noirs écartés, contre 12 aux onze jurés blancs sélectionnés », souligne la Cour, y voyant la preuve qu’elle « cherchait des prétextes » pour les tenir à l’écart. « Ce dossier est très inhabituel. En fait, il est unique », a estimé le juge conservateur Samuel Alito.

Cette affaire hors norme a commencé le 16 juillet 1996, quand quatre employés d’un magasin de meubles ont été abattus à Winona, une bourgade du Mississippi, dans le sud des Etats-Unis, marquée par l’esclavage et la ségrégation raciale. Six mois plus tard, la police a arrêté Curtis Flowers, qui avait brièvement travaillé dans le magasin, après des témoignages le localisant près des lieux du crime. Il a été jugé depuis à six reprises et a, à chaque fois, clamé son innocence.

Inamovible procureur

Le droit américain interdit d’organiser un nouveau procès quand un accusé a été acquitté. Mais cela n’a jamais été le cas pour Curtis Flowers : ses trois premiers procès se sont conclus sur des reconnaissances de culpabilité, avant d’être annulés en appel pour des vices de procédure. Les deux suivants n’ont pas débouché sur un verdict, faute d’unanimité parmi les jurés. En 2010, il avait été condamné à la peine capitale. C’est ce jugement que la Cour suprême vient d’invalider.

Le même procureur, le district attorney Doug Evans, a gardé la main sur l’ensemble de l’accusation. Elu par les habitants de son comté, il est inamovible, à moins de perdre un scrutin. Or, depuis 1991, il a été réélu sans discontinuer.

Les trois premiers procès ont pourtant été invalidés en raison de ses errements. « A la lumière de ce qui avait eu lieu auparavant, c’était risqué de laisser le même procureur en charge du dossier », a souligné dans son commentaire le juge Alito. Pourtant, rien ne lui interdit de convoquer un nouveau procès.

« Un septième procès serait sans précédent et complètement injustifié », ont estimé dans un communiqué les défenseurs de Curtis Flowers, en demandant aux autorités du Mississippi de « désavouer Doug Evans » et de « libérer leur client ». Mais elles ne peuvent pas légalement retirer le dossier au procureur.

Or, Doug Evans n’est pas du genre à renoncer, selon Ray Charles Carter, qui a défendu Curtis Flowers lors de ses quatre premiers procès. « Il pense qu’il doit gagner ce procès, qu’une défaite entamerait sa légitimité dans sa communauté », avait déclaré l’avocat en amont de l’audience en mars. Au-delà de la question raciale, le dossier de Curtis Flowers illustre « l’absence de contrôle sur les procureurs » dans le système judiciaire américain, selon la journaliste Madeleine Baran, qui a fait connaître l’affaire au grand public dans le podcast In the Dark.