Mauritanie : le bilan en demi-teinte des deux quinquennats de Mohamed Ould Abdelaziz
Mauritanie : le bilan en demi-teinte des deux quinquennats de Mohamed Ould Abdelaziz
Par Christophe Châtelot (Nouakchott, envoyé spécial)
Après deux mandats, le chef de l’Etat ne sera pas candidat à l’élection présidentielle du 22 juin, comme le veut la Constitution.
Le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz, à Nouakchott, le 2 juillet 2018. / Ludovic Marin / REUTERS
Longtemps, personne n’a voulu croire aux promesses de l’ancien putschiste. Il avait beau répéter – et cela depuis plusieurs années déjà – qu’il respecterait la loi, qu’il quitterait la présidence de la République islamique de Mauritanie à l’issue de son deuxième mandat, rien n’y faisait. Une question de confiance rompue, sans doute. L’opposition, évidemment, était convaincue que le tout puissant général – celui qui avait brutalement interrompu le 6 août 2008 la première transition démocratique – piétinerait de nouveau la Constitution.
Et pourtant. Mohamed Ould Abdelaziz, le rigide et cassant militaire, ne sera pas candidat à la présidentielle du 22 juin, après avoir remporté celles de 2009 et de 2014. On pourra inscrire à son bilan – en demi-teinte – qu’il fut, depuis l’indépendance de 1960, le premier chef de l’Etat mauritanien à transmettre le pouvoir à l’issue d’une élection pluraliste, à défaut d’offrir les mêmes chances aux candidats étrangers au pouvoir. Son successeur désigné par le parti dirigeant, Mohamed ould Ghazouani, fait ainsi figure de favori du scrutin face à cinq autres candidats.
Si l’ancien militaire a remisé son uniforme et ses rangers depuis sa première campagne électorale, ses deux mandats resteront marqués d’une forte empreinte sécuritaire qui a permis au pays de ne plus connaître d’attentats depuis 2010, malgré un environnement régional hautement instable. Lorsqu’il prend le pouvoir avec d’autres militaires en 2008, son pays est alors la cible d’opérations menées par des mouvements djihadistes descendus d’Algérie et regroupés depuis peu au sein d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
Plafonds de verre communautaires
Assauts contre des militaires, enlèvements d’étrangers, explosions de voitures piégées se succèdent. Parallèlement, des dizaines de Mauritaniens rejoignent les rangs des groupes armés établis au-delà des frontières, ces lignes virtuelles tracées, sur des milliers de kilomètres, dans les dunes d’un désert ouvert, notamment sur le Mali et l’Algérie, et alors franchies par des trafiquants en tous genres.
La première tâche de Mohamed Ould Abdelaziz sera de réorganiser ses forces armées, avec l’aide technique, matérielle et opérationnelle de la France et des Etats-Unis principalement. Le nouveau pouvoir mauritanien consacre ainsi une large part de son budget à son effort de défense nationale. Un effort qu’il maintiendra d’autant plus que le Mali voisin – dont une grande partie du territoire était tombée, en 2012, sous la coupe d’une coalition de groupes touareg indépendantistes et de djihadistes – est toujours aspiré dans une spirale de violence. Mohamed Ould Abdelaziz sécurise ses frontières et se fait également l’un des plus fervents avocats de la force conjointe du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad), embryon de force régionale pour lutter contre des périls communs (trafics et extrémisme violent).
L’édifice tient, mais la restructuration de l’armée n’ira pas jusqu’à briser les plafonds de verre communautaires qui compartimentent dangereusement la société mauritanienne. « Les trente-quatre généraux mauritaniens sont des Maures, mis à part deux Haratines [descendants d’esclaves], aucun Noir », rappelle Baba Hamidou Kane, l’un des six candidats à la présidentielle de juin et représentant de la communauté négro-africaine. « En dix années de présidence, rien n’a changé alors qu’une gouvernance intelligente aurait dû lui permettre de faire un rattrapage », ajoute-t-il.
« Une situation sociale détériorée »
Quelques clans arabo-berbères tiennent en effet les rênes de l’armée. Mais aussi de l’administration et de la politique au sein d’une population diverse (Maures, Haratines, Soninké, Wolof, Peuls…). Idem dans les principaux secteurs de l’économie. « Par exemple, il n’y a aucun management autre que maure dans les vingt banques du pays et les privatisations se sont faites sur des bases tribales », ajoute Baba Hamidou Kane, qui sent poindre « le ras-le-bol des Négro-Africains et des Haratines urbains vis-à-vis des notables et des représentants du système maure ». « La jeunesse est de plus en plus révoltée et l’on peut craindre des réactions sur des bases communautaires », avertit le candidat. « La situation sociale s’est détériorée au sein d’un système quasiment organisé par caste », juge également la sociologue Dieynaba Ndiom. « Ce climat de méfiance généralisé débouche sur le repli sur soi, alors que les problèmes sont énormes pour les familles », ajoute-t-elle.
Car si le bilan économique des années Ould Abdelaziz a des aspects positifs, tout le monde, loin de là, n’en profite pas. Certes, un accord a été trouvé avec le Fonds monétaire international (FMI) en 2017 pour contenir un endettement qui frôle les 100 % du PIB. Des programmes de développement ont permis d’équiper ce pays désertique grand comme une fois et demie la France (pour 4 millions d’habitants) d’infrastructures (routes, ports, aéroports, électricité, eau). Les exportations de minerai de fer, de produits agricoles et d’élevage ont été relancées. La croissance, assez vigoureuse (4 %), devrait s’envoler avec le début de l’exploitation, d’ici à deux ans, du gisement gazier prometteur de Grand Tortue découvert au large de la Mauritanie et du Sénégal.
Mais pour Biram Dah Abeid, le plus bruyant et virulent des opposants au chef de l’Etat, le cœur du pouvoir serait affaibli. « Le champ de redistribution de la manne financière s’est refermé sur un petit groupe autour du président, ce qui mécontente une partie de la communauté d’affaires pourtant issue du même groupe ethnique. Le système est usé, il ne protège même plus assez les siens. Il faut en changer sous peine de voir les revendications devenir plus véhémentes et violentes », affirme cet agitateur, passé plusieurs fois par les geôles du pouvoir contre lequel il se dresse.
Lutte contre la corruption des élites
Autre candidat de l’opposition à la présidentielle de juin, Sidi Mohamed Ould Boubacar partage cette analyse. « Le président a totalement négligé, pire oublié, l’aspect social du développement, affirme-t-il. L’école républicaine et l’accès à la santé ont été sacrifiés. Les services de base sont aujourd’hui inexistants ». Cet ancien premier ministre est soutenu par la branche mauritanienne des Frères musulmans, Tawassoul, principale formation de l’opposition qui s’est solidement enracinée sur le champ social déserté par l’Etat.
Et sur celui de la lutte contre la corruption des élites. Même si ses adversaires reconnaissent au président d’avoir remis de l’ordre dans les finances publiques, on touche ici un paradoxe. Le ménage a été fait dans l’administration, mais les pires rumeurs courent les rues de Nouakchott sur le clan présidentiel. « Ils ont mis la main sur des écoles et des hôpitaux pour les transformer en commerce et une partie de la Société nationale industrielle et minière, la première entreprise du pays, est entre leurs mains. L’immobilier, la pêche, les douanes… Ce ne sont que quelques exemples », énumère un avocat de la capitale sous couvert d’anonymat.
Car le sujet est sensible. Pour preuve, Abderrahmane Weddady et Cheikh Ould Jiddou, deux blogueurs bien connus pour dénoncer les atteintes aux droits humains dans leur pays, dorment depuis le 22 mars en prison. « Ils ont critiqué la corruption qui régnerait au sein du gouvernement dans des commentaires sur Facebook. Leurs allégations se fondaient sur des articles de presse, selon lesquels les Emirats arabes unis avaient gelé des comptes bancaires, dotés d’environ deux milliards de dollars américains [1,8 milliard d’euros], appartenant à des proches du pouvoir mauritanien », explique Amnesty International qui qualifie leur détention « d’illégale ».
« La stabilité de la Mauritanie à moyen terme ne repose pas seulement sur celle de l’appareil sécuritaire, des tribus ou de l’administration, mais également sur l’aspect social qui a été délaissé et crée un environnement explosif », s’inquiète un diplomate occidental en poste à Nouakchott. C’est surtout cela l’héritage que Mohamed Ould Abdelaziz laissera à son successeur.