« Too Old to Die Young », sublime élégie crépusculaire
« Too Old to Die Young », sublime élégie crépusculaire
Par Renaud Machart
La série du cinéaste danois Nicolas Winding Refn, dont la très lente mais intense action se tient entre Los Angeles et le Mexique, est un chef-d’œuvre sophistiqué.
Milles Teller dans la série « Too Old to Die Young ». / SCOTT GARFIELD / AMAZON STUDIOS
Depuis sa sortie, le 14 juin, sur Amazon Video Prime, Too Old to Die Young (« Trop vieux pour mourir jeune ») a la réputation d’être interminable. A tort : la série en dix « volumes », au nombre d’épisodes plus ou moins équivalent, du cinéaste Nicolas Winding Refn n’est pas plus longue que d’autres.
Ce qui pourra peut-être en gêner certains, c’est son tempo adagissimo, sa vacance et son errance dépressive, son absence (apparente) de rebonds et son mutisme. Le personnage principal, un jeune policier, buteur autant que buté (joué par Miles Teller, irradiant de froideur), parle à peine plus que Ryan Gosling dans le rôle principal de Drive (2011), dont il constitue le double et l’écho.
Pour goûter pleinement cette lenteur à la fois désincarnée et d’une grande plénitude, mieux vaut être adepte de l’art du microdéveloppement sur de très larges échelles et des grandes arches (en musique, en littérature, au théâtre, au cinéma). C’est ainsi qu’on appréciera au mieux cette élégie crépusculaire et étale, parfois filmée dans une pénombre presque totale.
Le policier, pris dans l’infernale spirale d’un règlement de comptes, compose un personnage christique qui va aller au bout d’un chemin semé sinon de croix, du moins de crimes – dont les siens, qu’il commet au nom d’une morale visant à venger des victimes de pédopornographie, de viols et autres meurtres à caractère sexuel.
Violence sanguinolente extrême
Car il faudra également au spectateur supporter une violence sanguinolente extrême – à laquelle les familiers du cinéma du Danois sont habitués, notamment dans ses trois derniers longs-métrages, Drive (2011), Only God Forgives (2013) et The Neon Demon (2016). L’hémoglobine gicle, les os craquent, les membres se tranchent.
Too Old to Die Young pousse plus loin encore l’érotisme fétichisé propre à Winding Refn et porte un regard homoérotique très appuyé sur le personnage incarné par Augusto Aguilera. Alors que Ryan Gosling ne se dévêt pas même pour son combat dans Only God Forgives, la caméra de Too Old to Die Young parcourt d’un lent travelling latéral – l’une des marques de fabrique du cinéaste – l’anatomie avantageuse de l’adonis latino dénudé.
On retrouvera dans Too Old to Die Young d’autres éléments-clés de l’univers stylistique du Danois : images et plans composés avec un soin maniaque, couleurs de néons saturées, couchers de soleil, découpes lumineuses et ombres portées, sabres et lames mutilantes, miroirs, fenêtres, corridors en perspective, inceste, nécrophilie. Sans oublier la musique électronique angoissée de Cliff Martinez.
Parfois, les personnages alanguis de la luxueuse villa mexicaine évoquent ceux d’India Song (1975), de Marguerite Duras ; l’errance du policier rappelle celle de Cosmo Vitelli dans Meurtre d’un bookmaker chinois (1976), de John Cassavetes. Too Old to Die Young propose aussi un détournement sophistiqué du genre telenovela et adresse quelques clins d’œil à Twin Peaks (1990-1991, 2017), de David Lynch – dont celui d’une certaine tarte à la cerise…
On notera aussi beaucoup d’autocitations (la course-poursuite en automobile, entre autres) au long cours de cette série exigeante, énigmatique et d’une beauté plastique presque hautaine. A quelques outrances près (les scènes pseudo-incestueuses), Too Old to Die Young nous aura bouleversé et fasciné.
TOO OLD TO DIE YOUNG Official Trailer (2019) Nicolas Winding Refn, TV Series HD
Durée : 03:06
Too Old to Die Young, série créée et réalisée par Nicolas Winding Refn. Avec Miles Teller, Augusto Aguilera, Jena Malone, Cristina Rodlo, John Hawkes, Nell Tiger Free, William Baldwin (EU, 2019, 10 × 31-97 min).