« Beau Joueur » : en immersion dans une équipe de rugby, entre foi collective et trivialité
« Beau Joueur » : en immersion dans une équipe de rugby, entre foi collective et trivialité
Par Jacques Mandelbaum
La documentariste Delphine Gleize a passé huit mois auprès des joueurs de l’Aviron bayonnais.
Delphine Gleize, auteur de ce documentaire sportif atypique, semble cultiver un tropisme pour les univers virils, plus encore pour les valeurs d’amitié et de transmission qui y sont attachées. On se souvient par exemple de Cavaliers seuls (2010), coréalisé avec Jean Rochefort, qui nous racontait de jolie façon la belle histoire entre un vétéran et un adolescent communiant autour de l’amour du dressage équestre.
La réalisatrice revient aujourd’hui du pays de l’Ovalie, d’où elle nous rapporte un documentaire consacré au club de rugby l’Aviron bayonnais, association plus que centenaire originellement consacrée, comme son nom l’indique, à la rame. Professionnalisé en 1999, le club accède au Graal du Top 14 en 2004 et s’y maintient jusqu’en 2015. Sous la nouvelle direction de l’entraîneur Vincent Etcheto, natif de la ville et ancien joueur, l’Aviron bayonnais, relégué en ProD2, reconquiert aussitôt sa place au Top 14.
Encore faut-il la conserver. C’est ici que les choses se corsent et que débarque (on ne sait d’où ni comment d’ailleurs) la réalisatrice, alors que le club, dès octobre 2016, ne parvient plus à s’arracher du fond du classement, stagnation qui le destine au spectre d’une nouvelle relégation en deuxième division. Autant dire que la réalisatrice arrive au bon moment et qu’avec une telle donne, en passant huit mois aux côtés de l’équipe en cet instant critique, au bas mot 50% de son film est gagné.
Un point de vue radical
Imagine-t-on, en effet, meilleur climat que cette tension sportive et humaine, meilleur suspense que cette ombre taraudante du déclassement, meilleur défi que ce sursaut d’orgueil demandé aux hommes? Découvrant le film trois ans plus tard, on sait évidemment ce qu’il sera advenu de ce suspense. Il n’empêche que la vertu du cinéma, art de la présence, consiste à nous y replonger comme si c’était aujourd’hui. Adoptant le principe d’une intervention invisible, tout juste rehaussée de quelques commentaires sentis en voix off, la réalisatrice adopte mine de rien un point de vue radical. Délaissant totalement le spectacle sportif (rien ne nous sera montré hors quelques images lointaines des matchs disputés), elle est, en revanche, présente dans les vestiaires au moment des compétitions et lors des entraînements.
De ce choix qui consiste à se tenir de l’autre côté du miroir, une dialectique assez belle et en même temps cruelle ressort. Elle tient, d’une part, en l’inexorable scansion des matches avec leur lot de lourdes défaites (54-5 contre le Stade français, 59-20 contre le Racing 92, 42-17 contre La Rochelle…). Et, d’autre part, aux longues séances de débriefings, de reprises en main, de harangues, d’objurgations, de galvanisations, de contritions, de promesses, de hontes bues, d’insultes, de crises et d’espérances incessamment levées qui s’efforcent de leur répondre.
On l’aura compris, quelque chose ici – dans cette douloureuse confrontation entre le sort funeste et réitéré de l’échec et le maintien d’une foi collective – dépasse largement le cadre sportif. Il y entre une grandeur tragique, une sombre dignité face à l’adversité, une métaphore en somme de toute humaine destinée. Peut-être fallait-il être une femme pour filmer cela ainsi, et entendre à son plus juste niveau d’honneur viril bafoué cet encouragement du coach : « Ce qu’il faut c’est se vider les couilles. Mais attention, se vider les couilles ça veut pas dire se branler, ça veut dire prendre du plaisir. » Si vous avez en somme aimé Le Grand Bain (2018), de Gilles Lellouche, vous ne pourrez qu’apprécier Beau Joueur, qui en est comme la réplique documentée.
BEAU JOUEUR - Bande-annonce
Durée : 01:50
Documentaire français de Delphine Gleize (1 h 43). balthazarprod.com/beau-joueur