Véronique Tadjo : « Je porte mon pays partout où je vais »
Véronique Tadjo : « Je porte mon pays partout où je vais »
Le Monde.fr avec AFP
L’écrivaine franco-ivoirienne s’est imposée dans le paysage littéraire en s’emparant des grands enjeux de son époque.
L’écrivaine franco-ivoirienne Véronique Tadjo lors de la 11e Foire du livre à Abidjan, le 19 mai 2019 au Palais de la culture. / ISSOUF SANOGO / AFP
Du génocide au Rwanda à l’épidémie d’Ebola, en passant par le retour de la diaspora sur le continent africain, l’écrivaine franco-ivoirienne Véronique Tadjo s’est imposée dans le paysage littéraire en s’emparant des grands enjeux de son époque. « Je porte mon pays partout où je vais. Il est ma première source d’inspiration », confie l’auteure, Grand Prix littéraire d’Afrique noire en 2005 pour Reine Pokou (éd. Actes Sud).
« On met toujours beaucoup de soi dans les écrits. On parle de la réalité et puis on s’en détache… », poursuit celle qui a notamment signé une autofiction avec Loin de mon père (éd. Actes Sud, 2010). Dans ce roman, elle raconte le retour au pays d’une jeune fille métisse venue organiser les funérailles de son père en Côte d’Ivoire en proie à la guerre civile.
Née en 1955 à Paris, Véronique Tadjo, fille d’un haut fonctionnaire ivoirien et d’une peintre sculptrice française, a grandi à Abidjan, où ses parents se sont installés quand elle était très jeune. « C’est comme cela que la Côte d’Ivoire est devenue mon pays de prédilection, l’endroit où j’ai tous mes repères culturels », raconte l’auteure qui partage sa vie entre Londres et Abidjan. Son œuvre, traduite en plusieurs langues, mêle poésie, romans, livres jeunesse illustrés par ses soins ou encore fictions historiques.
Une grande voyageuse
Difficile d’imaginer qu’à l’adolescence Véronique Tadjo était une reine du taekwondo. Entraînée par le grand maître coréen Kim Young Tae, elle a été la première Ivoirienne ceinture noire dans cette discipline qu’elle a délaissée pour effectuer ses études supérieures en France après une licence d’anglais à Abidjan. Elle se spécialise dans la littérature et la civilisation noire américaine à La Sorbonne puis à l’université de Howard, le « Black Harvard » à Washington DC. Et signe une thèse sur le processus d’acculturation des Noirs à travers l’esclavage.
Encore étudiante, cette grande voyageuse réalise pendant un mois dans les années 1980 la traversée du Sahara, de Paris à Abidjan, en passant par le Maroc, l’Algérie et le Niger. « A une époque où c’était encore possible », précise-t-elle. Ses différents périples inspirent son premier recueil de poèmes, intitulé Latérite (éd. Hatier, 1983), en hommage à la culture sénoufo du grand nord de la Côte d’Ivoire.
Après plusieurs années d’enseignement en Côte d’Ivoire, elle s’installe en 2001 en Afrique du Sud, pays à peine sorti du traumatisme de l’apartheid, et dirige à Johannesburg le département de français de l’université du Witwatersrand de 2007 à 2015. De cette expérience sud-africaine naît la fiction historique Mandela, non à l’apartheid (éd. Actes Sud, 2010). « J’ai trouvé que l’exemple de Mandela était un exemple de réconciliation qui pouvait nous servir en Côte d’Ivoire et parler à tout le monde », explique l’auteure.
« Je m’engage toujours dans mes écrits »
Deux de ses romans les plus retentissants font écho à des crises majeures du continent africain ces vingt-cinq dernières années : le génocide des Tutsi au Rwanda (L’Ombre d’Imana, éd. Actes Sud, 2000) et l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest (En compagnie des hommes, éd. Don Quichotte, 2017). Le premier naît en 1998 d’un projet collectif intitulé « Rwanda : écrire par devoir de mémoire » et parrainé par le festival littéraire lillois Fest’Africa et la Fondation de France. « En tant qu’écrivains ou écrivaines, on aimerait écrire des histoires beaucoup plus sereines. Mais certains sujets nous interpellent et il semble nécessaire de s’en emparer », témoigne Véronique Tadjo.
En 2005, Reine Pokou revisite l’un des mythes fondateurs de l’histoire nationale de la Côte d’Ivoire, celui de la reine qui sacrifia son fils en le livrant aux dieux du fleuve, pour que son peuple puisse traverser et échapper à ses poursuivants, fondant ainsi la nation baoulé.
Véronique Tadjo se dédie aujourd’hui « à 100 % » à l’écriture et à la peinture, tout en participant à quelques séminaires à l’étranger centrés sur la littérature et l’écologie. « Il faut donner aux jeunes générations la possibilité de vivre dans un environnement plus sain », plaide la romancière, qui combat l’idée selon laquelle l’écologie est une idée « importée ». « La Côte d’Ivoire avait 16 millions d’hectares de forêts en 1960, contre seulement 2,5 millions aujourd’hui », regrette-t-elle. « Je m’engage toujours dans mes écrits en tant qu’écrivaine, estime Véronique Tadjo. Je ne suis pas une personne qui veut faire de la politique, mais on pourrait dire que l’écriture mène à ça, d’une manière ou d’une autre. »