« Trouver l’articulation entre le social et l’écologique »
« Trouver l’articulation entre le social et l’écologique »
LE MONDE ECONOMIE
Jean Pisani-Ferry, économiste, Nicole Gnesotto, professeure au CNAM, et Jérôme Fourquet, directeur des études à l’IFOP, ont débattu sur la difficile transition énergétique.
De gauche à droite : Françoise Fressoz, éditorialiste au « Monde », Nicole Gnesotto, professeure au CNAM, le ministre de l’écologie François de Rugy, Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde », l’économiste Jean pisani-Ferry et Jérôme Fourquet, directeur des études à l’IFOP, débattent au Club de l’économie du « Monde », jeudi 27 juin. / Marc Chaumeil
Le grand défi de la France et de l’Europe va être de conjuguer justice sociale et transition écologique. La partie n’est pas gagnée, estiment l’économiste Jean-Pisani Ferry, le politologue Jérôme Fourquet et la spécialiste des affaires européennes Nicole Gnesotto.
Social et taxe carbone
Jean Pisani-Ferry : Nous avons trop assimilé la transition énergétique à la taxe carbone. En remplaçant une taxe, on ne fait pas disparaître le coût social, économique, de cette transition. On le fait apparaître ailleurs. Ce qui pose la question de qui doit supporter ce coût.
Jérôme Fourquet : La crise des « gilets jaunes » est plus globale que la contradiction entre pouvoir d’achat et taxe carbone. C’est le symptôme du décrochage de la classe moyenne, qui, sous l’effet des dépenses contraintes, ne parvient plus à suivre la cadence. Le reste à vivre de ce public doit être rehaussé, ce qui impose de diminuer les dépenses contraintes. Des études ont montré que, selon qu’on habite à Paris ou en Seine-et-Marne, on a le même budget global de logement et de transport, mais la répartition est différente. Dans ces territoires périphériques, le coût de l’énergie est très important pour les déplacements et le chauffage.
L’Europe et la transition écologique
Nicole Gnesotto : On peut s’interroger sur la pertinence de l’échelon européen à propos de beaucoup de politiques, mais pas pour celles qui n’ont pas de frontière, comme le terrorisme, les grandes pandémies ou le réchauffement climatique. Si on avait une politique française de lutte contre le réchauffement climatique différente de la politique allemande ou polonaise, ce ne serait pas très utile.
Nous avons une chance folle : c’est la première fois qu’une nouvelle mandature arrive sans budget. Les parlementaires vont devoir le configurer pour les sept prochaines années. L’occasion de s’engager en faveur d’investissements publics et d’aides sociales pour lutter contre le réchauffement climatique. C’est une bataille que les Français devraient mener, avec d’autres.
J. P-F. : Il faut construire des objectifs communs au niveau européen, et les porter ensemble sur la scène internationale. C’est uniquement comme cela qu’on peut peser. Mais, pour emmener une société dans un projet collectif, c’est plus au niveau national qu’il faut le faire. La transition écologique est une nouvelle articulation entre les finalités collectives et le marché. C’est un retour des finalités collectives. Pendant quelques décennies, on a vécu sous l’emprise d’un modèle consistant à créer des instruments, mais sans finalité collective. Ceux qui parlent de planification écologique n’ont pas tort. Ils oublient que cette planification doit aussi passer beaucoup par des instruments de marché.
La prise de conscience
J. F. : Le paquebot a déjà commencé à virer depuis un moment, comme par exemple dans la consommation alimentaire. Les événements climatiques que nous vivons actuellement peuvent aider une masse critique de la société à faire un certain nombre de choix. La France est un vieux pays égalitaire et les questions posées par les « gilets jaunes » sont : qui donne l’exemple ? Comment répartir la charge de l’effort ?
J. P-F. : Il s’est passé un double choc de prise de conscience, par toute une partie de la population, de l’importance du sujet. Sur le plan politique, l’aspect générationnel est important. Une partie de l’électorat, les jeunes, ne vote pas ou vote de manière importante sur l’écologie. Tout responsable politique doit se dire qu’il ne peut pas perdre les générations à venir. C’est très important.
N’oublions pas la conjoncture internationale actuelle. Nous allons avoir le G20, dans lequel il est possible que l’accord de Paris ne soit pas mentionné. Les émissions mondiales ont repris à + 3 % par an. Si le président Trump est réélu et qu’il reste sur ce type de ligne, nous aurons un retour assez fort de la question : « pourquoi faisons-nous des efforts de réduction des émissions alors que le monde n’en fait pas et que le problème est mondial ? » Nous vivons des années absolument cruciales. Je suis convaincu que le jour où les Etats-Unis basculent, tout change. Et je sais comment ils vont le faire : avec des taxes aux frontières. Si les Etats-Unis ne basculent pas dans les cinq ans qui viennent, nous allons vivre des années extrêmement difficiles. Les émissions continueront d’augmenter, et on demandera des efforts à nos sociétés, avec la question du rendement de ces efforts.
N. G. : En janvier-février, l’effet des « gilets jaunes » a fait comprendre que l’on devait avoir un volet social dans les politiques économiques, au niveau européen comme au niveau français, où l’on n’avait pas mis assez l’accent sur la réduction des inégalités sociales et territoriales, ce qui était une bonne chose.
L’effet des élections européennes n’est pas le même, avec cette montée des jeunes Verts partout en Europe. On peut se dire que le social va en faire les frais et que l’on va pousser sur l’environnement au détriment de la redistribution sociale. C’est le moment, aujourd’hui, de trouver la bonne articulation.