Cent cinquante-quatre signalements, 130 vidéos supprimées. Depuis 2015, à Londres, les vidéos de hip-hop sur YouTube sont surveillées par un groupe de modérateurs très particulier : la police.

Liée au programme de lutte contre les gangs dans la capitale britannique, l’opération « Domain » a pour but de regarder et de signaler les vidéos publiées par des rappeurs locaux, accusés d’envenimer les guerres de territoire et les violences dans les banlieues de la capitale britannique.

De plus en plus de crimes à l’arme blanche

Pour la police londonienne, plusieurs clips constituent des incitations à la violence. « Ce qui ressemble à un simple clip peut contenir des menaces (). Cela peut être des gestes imitant le fait de tirer avec une arme à feu comme des descriptions crues de ce qu’ils comptent faire aux membres du [gang rival] », a expliqué au site spécialisé Business insider Mike West, un responsable de ce programme de surveillance policière. Selon lui, plus de 2 000 vidéos ont jusqu’ici été regardées attentivement par les services de police.

Une action qui vient en complément d’autres procédures. Ces dernières années, des groupes londoniens de « drill », un type de hip-hop populaire au Royaume-Uni, ont été visés par la justice, alors que des artistes figurent parmi les victimes d’attaques à l’arme blanche, de plus en plus nombreuses dans le cadre des règlements de comptes entre gangs.

En janvier, les rappeurs Skengdo et AM ont par exemple été condamnés à neuf mois de prison avec sursis pour avoir joué en public leurs morceaux. Une injonction leur interdisait pourtant de faire de la musique, de jouer en public ou de publier de nouveaux clips sans l’autorisation des autorités.

La police justifie l’utilisation de ces mesures exceptionnelles par l’ampleur qu’a prise la violence entre gangs à Londres. Le nombre d’attaque au couteau dans la capitale a fortement augmenté ces dernières années, faisant du knife crime un sujet politique majeur – et la « priorité numéro un » du maire de Londres, Sadiq Khan. En 2018, près de 1 300 personnes ont été poignardées à Londres et dans les villes avoisinantes ; une trentaine de personnes ont été tuées à l’arme blanche depuis le début de l’année 2019 selon les décomptes de la presse britannique. Les chiffres sont en augmentation depuis trois ans.

Accusations de censure

Mais les interdictions de concert et les suppressions de vidéos sur YouTube font aussi l’objet de vives critiques de la part des défenseurs des libertés publiques. « La police utilise des lois conçues pour les terroristes et les violeurs pour criminaliser des musiciens qui chantent des paroles violentes. Cela leur permet de ne plus avoir besoin de prouver l’existence d’un lien entre un artiste et un crime pour obtenir une condamnation pour incitation à la violence. C’est une menace contre la liberté d’expression », écrivent ainsi les auteurs d’une pétition signée par 3 400 personnes.

Dans une tribune protestant contre les injonctions interdisant la publication de clips et les concerts, une trentaine d’avocats et de professeurs de droit ont dénoncé par ailleurs « la censure d’un des seuls canaux par lesquels des jeunes londoniens peuvent évoquer la difficulté de leurs vies et être entendus ». D’autant plus, écrivent les signataires, que « limiter les libertés civiles pour se donner l’apparence d’être sévère avec les criminels est une méthode qui n’a jamais fonctionné ». Certains commentateurs accusent aussi, de manière plus ou moins directe, la police de faire preuve de racisme – la grande majorité des artistes de « drill » sont noirs.

YouTube, de son côté, a choisi de coopérer avec la police londonienne, pour « mieux comprendre le dossier et prendre les actions appropriées concernant les contenus liés aux gangs qui ne respectent pas la loi ou nos conditions d’utilisation », écrit l’entreprise dans un communiqué transmis à Business Insider. « Nous avons développé des politiques spécifiques pour mieux gérer les vidéos liées aux attaques à l’arme blanche, et nous continuons de travailler avec des experts de ce sujet. »