Parmi les propos assez convenus tenus par les associations d’élus locaux, plus générateurs d’immobilisme que d’innovation, les propositions portées par l’Association des directeurs généraux des communautés de France (ADGCF) sont pour le moins détonantes. Ces hauts fonctionnaires territoriaux, dont les universités d’été se tiennent à Deauville (Calvados) du 3 au 5 juillet, plaident pour « un aggiornamento de l’action publique locale ».

Pour nourrir leur réflexion, ils ont disséqué la littérature consacrée aux politiques territoriales – une cinquantaine d’ouvrages répertoriés –, réalisé des entretiens avec des « grands témoins », organisé un cycle de treize séminaires en région puis conduit une enquête auprès de l’ensemble des directeurs généraux d’intercommunalité – 427 ont répondu. Dix-huit mois de travail pour aboutir au document intitulé « Quel monde territorial demain ? » présenté à ces universités d’été. « Il ne s’agit pas pour nous de contester la légitimité démocratique des élus, assure le président de l’ADGCF, Pascal Fortoul. Nous sommes là pour les servir mais nous avons le droit de penser et cela ne nous empêche pas d’avoir une opinion sur la décentralisation. »

Leur premier constat peut être largement partagé, y compris par ces élus locaux : « L’uniformisation des politiques publiques ne marche pas. » Mais c’est sur les conclusions, probablement, que porteront les divergences. Surtout quand ces hauts cadres territoriaux, au cœur de la conduite de l’action publique locale, s’interrogent sur les ressources dont disposent les collectivités et se demandent si elles ne sont pas trop « abondantes ».

« Blocages institutionnels »

« Contrairement au discours récurrent de certains élus locaux complaisamment relayé par les médias, font-ils le constat, la ressource est parfois encore trop abondante pour que les collectivités territoriales basculent pleinement dans une logique coopérative et optent pour des évolutions structurelles. » Pour eux, ce « confort » financier, entretenant une concurrence permanente entre les collectivités pour obtenir plus de ressources fiscales ou de dotations, est à l’origine du « poids des blocages institutionnels, politiques et corporatistes ».

Aussi proposent-ils ni plus ni moins que de « déterritorialiser la fiscalité économique » (cotisation foncière des entreprises, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, imposition forfaitaire des entreprises de réseaux…), soit près de 28 milliards d’euros en 2017. Pour la grande majorité des directeurs généraux de communautés et métropoles, cette territorialisation de la fiscalité économique agit comme un frein à la coopération entre les territoires. Elle « contribue à entretenir une concurrence néfaste et artificielle entre les territoires et à produire des stratégies économiques erronées (…) et rend in fine difficile le passage à une logique de coopération via le déploiement de politiques interterritorialisées ».

Pour l’ADGCF, la « vraie » réforme de décentralisation reste encore à faire. Ses responsables ne cachent pas leur déception au vu des annonces de l’exécutif après la crise des « gilets jaunes » et après la présentation de l’avant-projet de loi « proximité et engagement ». « Ce projet de loi est censé répondre à ce que le président de la République a entendu pendant le grand débat, déplore M. Fortoul. En réalité, il n’a pas entendu le peuple, il a entendu les représentants du peuple et, en particulier, les maires ruraux. »

Selon eux, l’acte III de la décentralisation annoncé pour le premier semestre 2020 « conduit à un statu quo » : « Des départements sauvés, des régions fusionnées sans réelle montée en puissance, des métropoles de droit commun dont le statut se différencie à peine de celui des communautés urbaines ». « Les petites patries perdurent, concluent-ils, mais elles restent subordonnées au pouvoir central. »

« Retour en arrière »

Les directeurs généraux dressent un constat paradoxal : « C’est au moment où la société française s’inscrit moins que jamais dans les territoires que prospère le plus l’idéologie territoriale. » Et ils ne cachent pas leur inquiétude quant à la « petite musique » qui s’est installée depuis le grand débat sur le retour à la « proximité ». « C’est une sorte de retour en arrière, alors que le problème n’est pas la proximité mais l’accessibilité », déplore M. Fortoul.

Les modes de vie ont changé, les espaces de production, d’habitat, d’échanges ont évolué, les grandes mutations contemporaines bousculent les fondements de l’ordre territorial et la « guerre des territoires » se poursuit comme si de rien n’était. « Jamais depuis l’adoption de la loi NOTRe, la défense catégorielle des territoires n’a été aussi vive et aussi âpre », déplorent-ils. En définitive, concluent-ils, le « dogme de la proximité » n’est-il pas le meilleur alibi au statu quo ? Un propos clairement à rebours de la tonalité ambiante.