DVD : « Trois femmes », la féminité selon Robert Altman
DVD : « Trois femmes », la féminité selon Robert Altman
Par Murielle Joudet
Réalisé en 1977, le film du cinéaste américain tranche avec son style habituel.
Avant d’être réalisé, Trois femmes a été rêvé. Robert Altman l’avoue lui-même : « J’ai rêvé que je faisais ce film. Le titre, les décors, les trois femmes étaient déjà dans mon rêve. » Le cinéaste rêve même de ses deux actrices principales. Au réveil, il trouve du sable, apporté par son fils, dans son lit : Trois femmes sera tourné dans le désert californien. Pour le cinéaste américain, ce long-métrage est sans doute son œuvre la plus languissante, parenthèse pastel et cotonneuse qui tranche avec son style habituel. On identifie davantage Altman à ses films choraux : d’immenses fourmilières fictionnelles dans lesquelles se débattent des dizaines de personnages. Il a pourtant dévié plus d’une fois, livrant des chefs-d’œuvre comme, entre autres, John McCabe (1971), The Long Goodbye (1972) et Trois femmes : autant de films qui le rendent inassignable à un seul style.
Dans Trois femmes, le cinéaste consacre un poème à la féminité : jeune Texane, Pinky Rose (Sissy Spacek) débarque en Californie et se fait engager dans un sanatorium. La jeune femme est formée par l’étrange Millie Lammoraux (Shelley Duvall), véritable poupée vivante, coquette, bavarde, lectrice de presse féminine. Millie a tout de la fille populaire mais, fait étrange, personne ne semble l’écouter ni même la remarquer – à part Pinky. Dès le premier plan, le ver est dans le film : tout a l’apparence d’une carte postale lentement rongée par un cauchemar. La taverne, le stand de tir, l’appartement de Millie… La fiction pousse comme au milieu de décors de cinéma abandonnés à la poussière. Dans un coin, une femme mutique (Janice Rule) peint des fresques au fond d’une piscine vide.
Prises au piège des apparences
Sans doute, Altman s’est-il imprégné de Bergman ou d’Antonioni pour vider à ce point son film, rendre ses mouvements de caméra aussi caressants. Sa caméra glisse le long de séquences-tableaux, s’attarde sur des détails anodins qui font la véracité des rêves. Modernité oblige, le film se plie en son milieu pour mieux recommencer à la faveur d’un étrange transfert de personnalité. Comme Mulholland Drive (David Lynch, 2001), très inspiré de Trois femmes, la féminité est filmée par Altman comme un puits d’images dans lequel chaque héroïne pioche son identité, dérobe parfois celle d’une autre. Millie et Pinky se retrouvent prises au piège des apparences : l’une s’est trop contemplée, l’autre a trop admiré. Mythes et clichés ont toujours été la grande affaire du cinéaste, qui aime déceler la mécanique derrière le vivant, le mirage derrière l’image.
TROIS FEMMES - Extrait "Pinky" (VOST)
Durée : 01:57
« Trois femmes », de Robert Altman (1977). Avec Sissy Spacek, Shelley Duvall, Janice Rule. (2 h 07).