« Yesterday » : un pauvre garçon dans le vent
« Yesterday » : un pauvre garçon dans le vent
Par Thomas Sotinel
Sur une idée de départ excitante, Danny Boyle bâtit un film décevant.
L’idée est irrésistible : que deviendrait un musicien s’il se réveillait un jour de 2019 seul détenteur de la mémoire des chansons des Beatles, paroles et musiques, dont le reste du monde ignorerait jusqu’à l’existence ? We Can Work It Out ou You Never Give Me Your Money sont de bien belles choses, dont la nouveauté s’est émoussée en un demi-siècle. Le geste serait ici de leur rendre leur nouveauté, d’observer leur éclosion dans un autre écosystème que le Royaume-Uni de Harold Wilson.
Mais les uchronies font de redoutables pièges à scénaristes, et Richard Curtis, qui n’est pourtant pas le premier venu (si vous avez assisté à Quatre mariages et un enterrement, savez situer Notting Hill sur un plan de Londres, c’est parce qu’il en a écrit les scripts), se laisse prendre dans les replis du paradoxe temporel. Pour y échapper, il utilise les ressorts sentimentaux qui animent les moins bons de ses films, comme Love Actually. L’enjouement un peu forcé de la réalisation de Danny Boyle n’y pourra rien, Yesterday ressemble plus à Silly Love Songs qu’à la composition à laquelle il emprunte son titre.
C’est à Jack Malick (Himesh Patel) qu’échoit la charge de la mémoire du catalogue Lennon-McCartney. Jack est un musicien médiocre qui pratique le folk en solo. La seule personne au monde à croire en son talent lui sert aussi de road-manager et de soutien psychologique. L’abnégation d’Ellie Appleton (Lily James) s’explique par la flamme qu’elle entretient à l’endroit de Jack, qui l’ignore par balourdise plus que par arrogance.
Un duel de composition
Au moment où il s’apprête à raccrocher sa guitare acoustique, Jack est renversé par un bus, dont le conducteur est perturbé par une panne électrique qui paralyse toute la planète (il faut bien donner une dimension cosmique à ce qui va suivre). A son réveil, il découvre, en interprétant Yesterday à ses amis, que le monde ignore tout de l’existence des Beatles et de leur œuvre. Ce garçon sans charisme ni énergie voit s’ouvrir la route de la gloire. En chemin, il croise Ed Sheeran qui le défie en un duel de composition instantanée. Jack l’emporte avec The Long and Winding Road. Le voilà bientôt affligé d’une manageur américaine (Kate McKinnon, carnassière, d’autant plus intéressante à regarder que le couple Himesh Patel-Lily James est anodin), reproduisant à lui tout seul la nova de 1963-1965 qui changea le cours de la culture populaire.
Rien ne s’oppose à l’ascension de Jack Malik, sauf ses scrupules, impossibles à confesser. C’est pourtant sur eux que le film se concentre, consacrant son dernier acte à la tempête qui s’agite sous le crâne du ringard devenu star, jusqu’à une conclusion confuse et illogique. En chemin, Yesterday esquive les paradoxes passionnants nés de l’idée de départ. Parce que le film oublie de prendre au sérieux les chansons, les musiques et les personnalités des Beatles (une apparition de John Lennon en vieux sage bienveillant qui n’a jamais connu la gloire démontre le peu d’intérêt des auteurs pour le personnage), il se refuse à poser les bonnes questions. Par exemple : une planète qui fait aujourd’hui un triomphe à Old Town Road aimerait-elle encore Penny Lane ?
Depuis quelques jours on peut trouver sur la Toile un roman graphique intitulé Yesterday, dans lequel un jeune Franco-Américain né le jour de la mort de John Lennon se réveille un matin de 1961, à New York avec en mémoire toutes les chansons des Beatles. Cet album date de 2011, son scénariste, David Blot, l’a mis en ligne gratuitement à l’approche de la sortie du film de Boyle et Curtis. Il n’en coûtera donc qu’une place de cinéma pour se faire une opinion sur les similitudes et les différences entre ces deux hiers.
Yesterday - Bande-Annonce VF [Au cinéma le 3 juillet]
Durée : 02:50
Film britannique de Danny Boyle. Avec Himesh Patel, Lily James, Kate McKinnon, Ed Sheeran (1 h 56). Sur le Web : www.universalpictures.fr/micro/yesterday