Etre mangaka en France, un parcours du combattant
Etre mangaka en France, un parcours du combattant
Par Elodie Cerqueira
Le manga fait désormais partie du patrimoine culturel français. Les ventes ne cessent de progresser, mais la majorité des auteurs français, de plus en plus nombreux, connaissent des temps difficiles.
Dans les salons de Japan Expo. / NICOLAS SIX / « LE MONDE »
Le manga en France ? « On a souvent dit que c’était un effet de mode, mais c’est faux », assure Satoko Ibana, directrice éditoriale aux éditions Glénat Manga. « On est dans une période de maturation et le manga va se développer de plus en plus », se réjouit-elle. Les chiffres l’attestent : le secteur est en nette progression, avec plus 24 % de ventes entre 2016 et 2018, selon une étude menée par l’institut GfK et le Syndicat national de l’édition. En 2018, le manga représentait 25 % des ventes de bandes dessinées, devenant ainsi le premier contributeur de la croissance du secteur.
Pourtant, la plupart des auteurs français de mangas, dont le nombre ne cesse de croître, peinent à en vivre. Christophe Cointault, auteur de la série Tinta Run, dont le quatrième et dernier tome est sorti en juin, a signé avec les éditions Glénat en 2016. Son contrat s’est terminé en février 2019, avec le dernier opus de sa série. Il doit rebondir, car « là ça devient chaud ! », déplore l’auteur. En effet, si son nouveau projet est déjà lancé et devrait sortir début 2020, les temps restent difficiles en attendant le prochain cachet.
Métier de passion
Souvent, les créateurs planchent plus de douze heures par jour sur leur création, parfois sept jours sur sept. « C’est un métier qu’on exerce avec passion, mais si on ramène le tout au taux horaire, on se fait peur. Je ne veux pas tout sacrifier, ma vie de famille est tout aussi importante et je veux préserver cet équilibre », affirme Christophe Cointault, trentenaire et père de famille. Il revient sur la réforme du 26 mars dernier sur les droits d’auteur : « Ça ne correspond pas au travail fourni, j’ai perdu 10 % de salaire. Ce n’est pas possible de vouloir de la création sans l’encourager », proteste-t-il.
Mais il en faut plus pour décourager ces passionnés, alors que le manga s’installe de façon pérenne dans le paysage culturel français. S’il faut le rappeler, les Français sont au deuxième rang mondial des plus grands consommateurs de mangas, après le Japon. La culture nipponne a su marquer les esprits des quadragénaires biberonnés à Dragon Ball Z ou autre Goldorack, qui ont transmis cet héritage. En 2000, lors de la première édition de la Japan Expo, les organisateurs enregistraient 3 200 visiteurs ; en 2018, ils sont plus de 243 000. Cette année, pour la vingtième édition, qui a débuté le 4 juillet, ils n’en attendent pas moins. Les stands des éditeurs, transformés pour les quatre jours du salon en librairie éphémère, ne désemplissent pas.
Si cet engouement pour le manga ne date pas d’hier, les créations françaises tentent de se faire une place depuis quelques années au sein des géants japonais. Les éditions Glénat Manga sortent entre 120 et 150 nouvelles références par an, dont 4 à 5 % sont françaises. L’offre n’a jamais été plus pléthorique et continue à se développer.
« Le public est en attente de nouveautés. La plupart des maisons d’édition commencent à faire du manga français. Nous avons commencé il y a deux ans. Le rythme de publication n’est pas le même que celui du manga japonais. En France, les auteurs prennent plus soin de leur œuvre, le rythme de parution est de six à huit mois. J’ai l’impression que les lecteurs ont compris que ce rythme est différent », explique Satoko Ibana, de Glénat.
Métier précaire
Reste à trouver l’équilibre entre satisfaire un lectorat très exigeant, tant dans la diversité que la qualité, et des auteurs qui doivent s’adapter à un rythme de vente élevé (deux à trois tomes par an), malgré la précarité à laquelle ils peuvent être confrontés.
« Le manga de création doit se renouveler pour ne pas lasser le lecteur. Au fur et à mesure des années, de nouveaux auteurs arrivent », analyse Benoît Huot, responsable éditorial des éditions Glénat Manga. Il faut du temps pour que l’auteur rencontre son public et crée sa communauté. « Ça arrive de devoir interrompre des séries, car les ventes ne sont pas au rendez-vous », explique-t-il.
Les auteurs qui connaissent un succès fulgurant, à l’instar de Tony Valente, restent rares. L’auteur de Radiant, aux éditions Ankama et exporté au Japon, où la série est adaptée en dessin animé depuis octobre 2018, fait figure d’exception. Certains mangakas français, tels que VanRah ou Reno Lemaire, ont su s’imposer dans ce milieu sacré. Pour les autres, vivre de leur passion et de leurs créations peut devenir un véritable défi.
10 millions d’euros dédiés aux créateurs
Face à cette réalité économique, le ministre de la culture, Franck Riester, consent, lors d’un entretien au Monde publié le 4 juillet, que « les auteurs de BD sont souvent dans une situation sociale catastrophique, voire d’indignité pour certains ». Dix millions d’euros seront ainsi dédiés aux créateurs. Le ministre, dans son discours prononcé le 18 juin, déclarait confier à Bruno Racine, ancien président du Centre Pompidou et de la BNF, « une mission prospective sur le statut des artistes-auteurs ».
Déjà plongé dans sa nouvelle création, intitulée Wind Fighters, Christophe Cointault se veut optimiste : « Je suis persuadé que, dans quelques années, c’est nous qui allons faire avancer les wagons et que les lecteurs vont nous suivre. J’espère qu’on va créer des aventures avec lesquelles ils vont grandir. On est de plus en plus au point et de plus en plus efficaces, ça va forcément porter ses fruits. » Encouragé par son éditeur, il est confiant, mais a aussi conscience que d’autres mangakas français restent en souffrance.