L’humoriste Aziz Ansari fait son autocritique sur scène
L’humoriste Aziz Ansari fait son autocritique sur scène
Par Audrey Fournier
Dans son nouveau spectacle, « Right now », diffusé sur Netflix, le populaire « stand-upeur » américain revient sur la polémique dont il a été l’objet en pleine vague #meetoo.
A LA DEMANDE
Connu pour le rôle de Tom dans la géniale série Parks and Recreation, ainsi que pour l’excellente série Master of None, qu’il a écrite pour Netflix, Aziz Ansari est avant tout un « stand-upeur » extrêmement populaire aux Etats-Unis. Au plus fort de sa notoriété, l’humoriste d’origine indienne s’est retrouvé, en janvier 2018, au cœur d’une controverse, conséquence directe du mouvement #meetoo. Une jeune femme, « Grace », avait alors publié sur le site Babe (aujourd’hui fermé) un long texte racontant une mauvaise expérience sexuelle avec lui. Ce témoignage avait profondément divisé l’opinion, une partie y voyant une parfaite illustration du concept de « zone grise » (celle dans laquelle le consentement peut être interprété comme implicite), tandis que l’autre prenait la défense d’Ansari, arguant qu’il s’agissait avant tout d’un malentendu instrumentalisé. Objet d’un court boycott (nominé aux Screen Actors Guild Awards en janvier 2018, son nom n’a pas été applaudi), le comique a disparu des radars pendant plusieurs mois, avant de partir l’hiver dernier en tournée avec un nouveau spectacle, Right now, que Netflix vient de mettre en ligne.
Réalisée par Spike Jonze, cette captation, principalement enregistrée dans la petite salle de la Brooklyn Academy of Music, est placée sous le signe de l’intimité. Filmé de près, Aziz Ansari, en jean et tee-shirt, alterne exclamations et chuchotements, interactions avec le public et monologues. Certains plans rapprochés laissent voir, derrière lui, les silhouettes noires des personnes qui observent le spectacle des coulisses.
Sans feindre d’ignorer « l’éléphant dans la pièce », comme disent les Anglo-Saxons, il met immédiatement les pieds dans le plat et évoque, dans une séquence très drôle, le scandale dont il a fait l’objet. Une fois les éclats de rire passés, il reprend toutefois un ton sérieux pour admettre s’être senti tour à tour « effrayé », « humilié », « embarrassé » et, finalement, « désolé » de ce qui s’est passé. Considérant que l’affaire l’a amené à réfléchir et, au bout du compte, « à devenir une meilleure personne », il considère qu’il était important pour lui de partager son état d’esprit avec le public avant de commencer le show, « même si ce n’est pas la façon la plus hilarante » de le faire.
Mimiques appuyées
Cette introduction, qui a pour effet immédiat d’alléger l’ambiance, pourrait passer pour une autojustification en forme de faux mea culpa, à l’américaine. Mais Ansari a la finesse de ne pas trop en faire et de ne pas se départir de ce qu’il maîtrise le mieux, une forme d’humour sur le fil du rasoir, entre tendresse et cynisme, parfaitement adaptée à l’air du temps. Surtout, ce préambule donne le ton du spectacle, au cours duquel Ansari s’en prendra à notre usage névrotique des réseaux sociaux, au débat sur le racisme, l’antiracisme et l’appropriation culturelle, aux excès du politiquement correct et à la mise en scène médiatique des scandales. Le passage sur les documentaires accusant les chanteurs R. Kelly et Michael Jackson d’agressions sexuelles, et leur accueil au sein du public est particulièrement réussi. Plusieurs fois, comme lorsqu’il évoque une histoire de pizza livrée avec des rondelles de pepperoni disposées en forme de croix gammée, il invite le public à s’exprimer pour mieux le mettre en face de ses préjugés et de ses contradictions ; tout le monde a un avis sur cette histoire de pizza, sauf qu’elle n’a jamais existé, Ansari l’a inventée pour le spectacle. Sa tête de cartoon et ses mimiques appuyées font la plupart du temps merveille, sauf quand il s’aventure sur le terrain de la blague crue, domaine dans lequel il n’est pas le meilleur.
Le comédien termine sa démonstration par une confidence, presque murmurée dans le micro : « Je suis heureux d’être là, ce soir, avec vous, car j’ai entrevu un monde dans lequel je ne pourrai plus jamais faire ce que je fais. »
Right now a été plutôt bien reçu par les critiques américains, qui ont salué la sincérité d’Aziz Ansari et vu dans ce spectacle un excellent exemple de la prise en compte des évolutions sociétales par l’industrie du divertissement et ceux qui la font – évolution difficile, lente, complexe, perturbante voire inconfortable, comme toutes les remises en cause, surtout à une époque où tous les avis sont considérés comme équivalents. Ce show à la fois impertinent et imparfait, chaleureux et rassembleur, a également le mérite de poser plus de questions qu’il n’apporte de réponses. A l’heure où les spectacles de stand-up tournent de plus en plus souvent à la leçon de vie pontifiante, ce n’est pas la moindre de ses qualités.
Aziz Ansari: Right Now | Official Teaser | Netflix
Durée : 00:51
Right now, réalisé par Spike Jonze (EU, 2019, 65 min).