Tom Wood : Burroughs Gardens Girls [Les Filles de Burroughs Gardens], 1984-86. / TOM WOOD / GALERIE SIT DOWN

LA LISTE DE LA MATINALE

Il y a pléthore de choses à voir aux Rencontres d’Arles, qui, pour fêter leur cinquantième édition, proposent pas moins de 51 expositions, à voir jusqu’au 22 septembre. L’édition 2019 est donc riche, et réussie, en particulier pour les nombreuses expositions historiques. Nous avons fait une sélection de nos expositions préférées, des plus originales aux plus classiques.

Mohamed Bourouissa fait son affaire à Monoprix

Mohamed Bourouissa : « L’impasse » de la série Périphérique, 2007 - avec l’aimable autorisation de l’artiste. / Kamel Mennour, Paris/ ADAGP Paris, 2019

L’artiste contemporain Mohamed Bourouissa occupe tout le premier étage du Monoprix d’Arles (climatisé cette année) de main de maître : après avoir traversé le magasin et ses soldes, le visiteur découvre des photos, vidéos et installations qui évoquent les échanges économiques, le trafic, les rapports inégaux et résonnent parfaitement avec le lieu.

On circule dans le vaste espace de façon fluide, entre les photos de ses débuts sur les jeunes des Halles jusqu’à son travail sur les chômeurs réduits à de petites figurines anonymes réalisées avec une imprimante 3D – qu’on peut faire aussi surgir du sol en téléchargeant une application. Il a aussi invité plusieurs artistes dont le photographe Jacques Windenberger, préoccupé comme lui par l’idée de faire de l’image un espace de collaboration : ce dernier signe une série autour des employés du Monoprix, qui ont eux-même choisi les photos exposées. En bas, dans les vitrines, comme dans un échange vertueux, ce sont les images de Mohamed Bourouissa qui servent à vendre des chaussures.

« Libre échange », de Mohamed Bourouissa, Monoprix.

Marjan Teeuwen détruit et reconstruit les maisons

Une des pièces construites avec du placoplatre par Marjan Teeuwen à Arles. / PETER COX

Il faut s’armer de patience pour visiter la « maison détruite » de Marjan Teeuwen car la jauge est de… cinq personnes. L’artiste néerlandaise s’est donné comme spécialité de détruire des constructions humaines pour les rebâtir selon des règles étranges. A Arles, elle a creusé le sol, cassé les murs et enlevé le toit d’une maison dans laquelle elle a inventé deux pièces étonnantes, façonnées à partir de gravats soigneusement ordonnés. La visite guidée (qui mériterait davantage de silence) offre une réflexion sur le temps, la mémoire, l’oubli. Les photographies tirées de ses précédentes destructions/constructions à Gaza ou ailleurs sont exposées non loin, mais il faut vraiment aller sur place pour prendre la mesure de ce travail singulier.

« Destroyed House », de Marjan Teeuwen, Croisière.

Tom Wood, observateur de la complicité féminine

Cette exposition tient dans une seule pièce, mais c’est du concentré : elle offre une traversée dans l’œuvre du photographe britannique Tom Wood, qui passa tant d’années à photographier sous toutes les coutures sa ville de Liverpool, en se concentrant sur ses habitants saisis sur le vif, dans le bus, dans la rue, au stade... La commissaire Martha Kirszenbaum a mis en regard les images du photographe qui montraient des femmes ensemble, avec des cartes postales sur le même thème : celles que le photographe collectionne depuis ses débuts et qui l’inspirent. Les deux se répondent de façon subtile, sans imposer une lecture, et mettent en avant les liens étroits et évidents des sœurs entre elles, des mères avec leur fille et des copines en goguette.

« Mères, filles, sœurs », de Tom Wood. Salle Henri-Comte, jusqu’au 25 août.

Les années de fer de Libuse Jarcovjakova

Libuše Jarcovjáková : « Self-portrait », Prague, 1981. / Libuše Jarcovjáková

Pendant des années, la tchèque Libuse Jarcovjakova a fait de la photographie sans suivre les règles, et sans pouvoir montrer ses images : à Prague, derrière le rideau de fer, alors que le régime communiste imposait mensonge et propagande, ces images étaient un moyen pour elle de vivre de façon authentique et intense. Elle expose aujourd’hui dans l’église Sainte-Anne, au cœur de la ville, ces images intimes, prises dans l’usine où elle a travaillé, dans les boîtes gay de Prague où dansaient ses amis, et avec les étudiants vietnamiens auxquels elle enseignait le tchèque. Ces images rudes, crues, sans concession, baignant dans la fête, le rire et l’alcool, sont complétées par les mots à vif de la photographe, qui disent à la fois l’oppression de ces années sombres et les éclairs de liberté que lui a offerts la photographie. Une vraie révélation.

« Evokativ », de Libuse Jarcovjarkova, église Sainte-Anne.

Les rues vivantes d’Helen Levitt

Helen Levitt : New York, 1980 - collection privée. / Helen Levitt / Film Documents LLC / Thomas Zander Gallery, Cologne

Il est rare de voir autant d’images à la fois d’Helen Levitt, arpenteuse des rues de New York dès les années 1930. Produite par le Musée Albertina de Vienne, qui possède une partie du fond, cette rétrospective permet de plonger dans l’œuvre de cette Américaine trop méconnue, qui fut aussi une tireuse hors pair et travailla avec Walker Evans – avec lequel elle photographia de façon clandestine des passagers du métro. Son seul terrain fut les rues de New York, où elle passait son temps à photographier les enfants, sans jamais être sentimentale, cherchant toujours l’étrange derrière les jeux, les masques, les déguisements. L’exposition, riche et analytique, comprend aussi des photos en couleur ainsi que ses films, tentatives de cinéma direct avant l’heure.

« Helen Levitt, observatrice des rues new-yorkaises », Espace Van Gogh.

La revue « Variétés » plonge dans l’avant-garde des années 1930

Aenne Biermann : « Clavier (Andante maestoso) », 1928. / Aenne Biermann / La revue Variétés

Au rez-de-chaussée de la chapelle Saint-Martin du Méjean s’étale dans son intégralité la revue d’avant-garde belge Variétés, dont les archives ont été miraculeusement retrouvées. Dans les années 1930, cette publication belge « éclectique » traitait des questions les plus brûlantes du moment – comme l’art africain – et a ouvert ses pages aux plus grands photographes, tels Man Ray, Germaine Krull, Berenice Abbott, Laszlo Moholy-Nagy, Florence Henri dont on découvre plus de 200 tirages d’époque. Les murs montrent les numéros de la revue un par un, avec la couverture et quelques pages intérieures dans une scénographie très tenue.

« “Variétés”, revue d’avant-garde », chapelle Saint-Martin du Méjean.

La photo, ce réservoir d’obsessions

Anonyme : «  Obsession », vers 1880. / Collection Bruno Decharme

Les Rencontres d’Arles présentent avec l’exposition « Photo/Brut », les œuvres de 45 personnages restés à la marge de la société et de l’histoire de l’art, en puisant dans l’incroyable collection de Bruno Decharme. Celui-ci a collecté les images d’obsessionnels auxquels la photo a pu offrir une issue, une échappatoire pour leurs hantises et leurs manies. Collages, mises en scène, interventions sur l’image sont l’occasion de changer de corps ou de sexe, de donner réalité à des fantasmes... Ces images étonnantes, parfois signées de personnages connus, comme Miroslav Tichy, qui espionnait les filles avec ses appareils faits de bric et de broc, ou d’anonymes récemment découverts (« Zorro », qui pose avec sa mère en bottes et avec un fouet), occupent un immense espace aux ateliers, et montrent que si leurs auteurs n’avaient pas d’intention artistique, ils n’en faisaient pas moins preuve d’une étonnante créativité.

« Photo/Brut, collection Bruno Decharme et compagnie », Mécanique générale.

La science poétique de Marina Gadonneix

Marina Gadonneix : « Sans titre (Sol martien) » - avec l’autorisation de la galerie Christophe Gaillard. / Marina Gadonneix / Galerie Christophe Gaillard

Le spectateur, chez Marina Gadonneix, passe du bleu au blanc, insensiblement, car les murs déroulent toutes les nuances du cyanomètre, le cercle avec 53 cases inventé par le physicien-alpiniste Horace Bénédict de Saussure pour mesurer l’intensité du bleu du ciel. Dans cette exposition très bien conçue, la photographe convoque l’imaginaire avec ses images abstraites qui font référence à des phénomènes naturels impressionnants : cyclones, raz-de-marée, trous noirs, tornades, foudre, tremblements de terre, chutes de météorites… Mais rien ne ressemble à ce que l’on attend, car l’artiste est allée voir ce que devenaient ces phénomènes de la nature lorsqu’ils sont reproduits en laboratoire par les scientifiques : une aurore boréale a l’air d’un étrange rond de fumée blanc qui flotte dans un noir absolu. Et parfois, la fiction s’invite sans crier gare, comme lorsqu’un site de reconstitution du sol martien devient studio de cinéma après la fermeture...

« Phénomènes », de Marina Gadonneix, Mécanique générale.

Les fantômes de la Zone ressuscités

Photographe anonyme : « Enfants de la Zone », Rue Forceval, Porte de la Villette, France, 1940 - avec l’aimable autorisation de la Galerie Lumière des Roses. / Galerie Lumière des Roses

Il reste peu d’images du plus grand bidonville de France, surnommé « la Zone », car les familles pauvres qui y ont habité faisaient rarement des albums de famille. Collectionnées par la galerie Lumière des Roses, des photos d’anonymes reviennent sur l’histoire de cette zone de cabanes, de roulottes et de jardins ouvriers qui s’est élevée tout autour de Paris, autour des fortifications, du XIXe siècle jusqu’aux années 1950. C’est là que le célèbre guitariste Django Reinhardt grandit, dans une roulotte. On y voit les habitations misérables et la pénible corvée d’eau, mais aussi les multiples petits métiers locaux – du coiffeur aux célèbres chiffonniers – et la solidarité d’une population exclue de la ville par les prix de l’immobilier. Le tout au son du swing, musique de l’époque.

« La Zone, aux portes de Paris ». Croisière.

Les inventions, beaux succès et superbes ratages

Dispositif de repérage aérien (mai 1935) : ce dispositif visait à détecter les avions en approche. / Office national des recherches scientifiques et industrielles et des inventions / CNRS

Qui aurait pu croire que les archives photo de l’Office national des recherches scientifiques et industrielles et des inventions, conservées par le CNRS, auraient pu donner lieu à Arles à une exposition aussi esthétique et aussi... drôle ? Il y a l’étrange beauté de ces drôles de machines, du char préhistorique (abandonné car il ne pouvait pas tourner) à la machine à laver (dans cette version, ce sont les assiettes qui tournent). Mais il y a aussi le caractère quasi comique de nombre de ces images, prises avec soin par des opérateurs venus du cinéma burlesque qui mettaient en scène avec créativité toutes ces images utilitaires. On voit la recherche passer d’échecs en réussites, des inventions militaires aux trouvailles ménagères, du fusil au balai-brosse.

« La Saga des inventions, du masque à gaz à la machine à laver, les archives du CNRS », Croisière.

A l’intérieur des maisons anglaises

Andy Sewell : « Sans titre  », série Something like a Nest [Quelque chose qui ressemble à un nid], 2014. / Andy Sewell

Il vaut mieux éviter les jours de forte chaleur pour apprécier l’exposition « Home Sweet Home » à la Maison des peintres, car le lieu n’est pas climatisé. Mais l’exposition, à la fois dense et passionnante, vaut le détour. Elle explore les rapports si étroits des Britanniques à leur chez-soi, dans un lieu comme fait sur mesure : une ancienne maison à étages, avec restes de papier peint et dotée d’une mise en scène inventive. Une trentaine de photographes anglais y témoignent, par leurs photographies, des bouleversements de la société anglaise à partir des années 1970. On y retrouve l’incontournable Martin Parr, qui croque le sentiment de supériorité de la petite bourgeoisie anglaise, mais aussi des auteurs moins connus qui montrent la rébellion punk, la résistance de la classe ouvrière face aux années Thatcher ou les efforts que font les immigrés des Caraïbes, posant dans leur impeccable salon, alors qu’ils sont victimes de racisme et jugés « pas assez anglais » par leurs compatriotes.

« Home Sweet Home », Maison des peintres.

Les nouveaux barbelés à travers l’Europe

Frankie Quinn : photographie tirée de la série Lignes de Paix, nord de Belfast, 1994 - avec l’aimable autorisation de l’artiste. / Frankie Quinn

Le rideau de fer qui coupait l’Europe en deux est tombé il y a trente ans, mais de nouveaux murs s’élèvent à travers l’Europe : pour se protéger du voisin russe trop puissant, pour empêcher le passage des migrants, pour confiner les Roms dans leurs ghettos et les rendre invisibles. Une exposition pas très réjouissante mais passionnante, qui mêle visions d’artistes, images de photojournalistes et de militants.

« Les Murs du pouvoir », Maison des lices jusqu’au 25 août.