Le parquet de Nice n’est pas apte, dans l’état, à enquêter sur les circonstances des graves blessures subies par Geneviève Legay, une militante d’Attac, lors d’une manifestation des « gilets jaunes », le 23 mars, à Nice. C’est ce que signifie, en creux, la décision de la Cour de cassation, qui a confié le dossier au tribunal de Lyon.

Me Arié Alimi, l’avocat de cette militante de 73 ans, qui craignait une trop forte proximité entre le procureur de Nice et cette affaire polémique, se félicite d’avoir finalement obtenu cette décision, demandée depuis plusieurs mois. Une demande appuyée par le parquet général d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).

« C’est une excellente nouvelle, qui va nous permettre d’avoir une vraie instruction, assure Me Alimi, contacté par Le Monde. Je ne pense pas que le policier qui l’a poussée est le seul responsable là-dedans. Les ordres étaient illégaux. Cela va diluer sa responsabilité, ce qui est une bonne chose. L’heure est à la responsabilité des ordres, et à la responsabilité politique face à ce qu’on ne peut plus qu’appeler une affaire d’Etat. »

« Un souci de transparence »

Le procureur de la République de Nice, Jean-Michel Prêtre, a multiplié les erreurs dans ce dossier. Deux jours après les faits, le magistrat avait assuré que la chute de la septuagénaire n’avait pas été provoquée par un policier. Face aux révélations de plusieurs médias, dont Le Monde, qui avaient analysé les images à leur disposition, il avait ensuite changé de version et reconnu, le 29 mars, que « c’est bien le geste d’un policier qui est à l’origine de la chute de Mme Legay ». Le procureur avait aussi choisi de confier les investigations sur les causes des blessures de la manifestante à la conjointe de l’homme chargé des opérations le jour de la manifestation.

Un document, révélé par Mediapart fin juin, jetait encore plus le doute sur la conduite de l’enquête : un rapport détaillant le refus d’un escadron de gendarmes de participer à la charge contre des manifestants, le 23 mars, considérant l’action « disproportionnée ». Document qui ne figurait pas dans les pièces du dossier. Or, toujours selon le site d’information, le procureur de la République était présent au centre de supervision urbain, et il a assisté à la charge de police qui a heurté violemment la septuagénaire. Il a donc été témoin non seulement de la scène, mais aussi du refus des gendarmes d’obtempérer. Le magistrat n’a pas estimé bon de le signaler. Jean-Michel Prêtre n’a pas souhaité faire de commentaire.

« Il y a quand même quelque chose d’incroyable dans cette histoire, estime Me Alimi, c’est qu’aucune mesure conservatoire n’a été prise, ni contre Rabah Souchi [le commissaire de police en charge ce jour-là] ni contre sa compagne. Et surtout, aucune réaction politique, alors qu’on est face à de graves manquements de la part d’un procureur. Je ne comprends pas. » Début avril, la ministre de la justice, Nicole Belloubet, avait évoqué devant le Sénat un « souci de transparence » et convoqué le procureur niçois pour lui demander des explications « dans les plus brefs délais ». Me Alimi, lui, s’apprêtait vendredi à saisir le Conseil supérieur de la magistrature au sujet de la gestion du dossier par M. Prêtre.