Pendant le match Madagascar-Tunisie, le 11 juillet à Tunis. / FETHI BELAID / AFP

C’est bien connu en Tunisie, l’équipe nationale a toujours mal commencé les coupes d’Afrique des nations (CAN). Mais les Aigles de Carthage semblent avoir brisé le sort : alors qu’ils n’avaient jamais dépassé le second tour depuis quinze ans, les voilà désormais à l’affiche des demi-finales. Dimanche 14 juillet, au Caire, ils doivent affronter les Lions du Sénégal. Avant même l’issue du match, dans les rues de Tunis, les « unes » dithyrambiques des journaux célèbrent une équipe avec laquelle les Tunisiens se sont réconciliés.

Il aura fallu un peu de temps. La Tunisie peut compter cette année sur une bonne carte offensive avec le trio de milieux de terrains Youssef Msakni, Wahbi Khazri et Naïm Sliti. Mais jusqu’aux dernières rencontres, le rendement de l’équipe n’était pas à la hauteur de ses victoires dans les matchs de préparation.

« Tout le monde a été surpris »

La CAN aura été forte en émotions, confirme le journaliste sportif Mourad Zeghidi, de ses « débuts catastrophiques » jusqu’à l’« embellie face au Ghana ». Ce match, lundi 8 juillet, a marqué un tournant, envoyant les Tunisiens en quarts de finale après une victoire arrachée aux tirs au but. Invité sur un plateau de la télévision nationale, un diseur de bonne aventure a prétendu avoir « figé » le gardien ghanéen. La polémique provoquée par cette étrange affirmation s’est vite éteinte. Tout comme les critiques qui fusaient, depuis le début de la compétition, à propos des choix du nouveau sélectionneur, Alain Giresse

Beaucoup de supporters rêvent désormais d’une finale, et pourquoi pas face à l’Algérie, elle aussi qualifiée pour les demies. « Nous sommes comme des frères, et ils ont fait un super parcours, ce serait l’idéal », témoignait Salim dans un café regorgeant de clients, jeudi soir, jour de victoire de la Tunisie contre Madagascar.

D’autres se montrent plus réalistes. A Montplaisir, dans le centre-ville de Tunis, Mohamed Ali Jamoussi, opticien, pense qu’il faudra de la chance pour l’emporter encore. « Tout le monde a été surpris du parcours de la Tunisie, je vais regarder le match contre le Sénégal à la maison car je ne sais pas si on va gagner cette fois », déclare ce fan qui suit toutes les compétitions depuis les années 1980. « On n’a pas vraiment une équipe en laquelle on peut croire à 100 %, ajoute Fateh Boukholda, gérant d’une société et originaire de Ben Guerdane, au sud de la Tunisie. Elle reste imprévisible et n’a pas forcément la même performance technique et physique que le Sénégal. » Selon lui, une victoire ne peut être qu’« accidentelle ».

« Je pense que cette année, c’est la bonne »

De fait, l’équipe nationale devra faire face à la fatigue mais aussi à des joueurs réputés chez les Lions du Sénégal, comme l’attaquant Sadio Mané qui joue à Liverpool et les défenseurs Kalidou Koulibaly (Naples) et Moussa Wagué (FC Barcelone). « Nous n’avons pas des joueurs aussi renommés mais l’équipe nationale a le mérite d’être solide et réaliste et son jeu commence à bien se dessiner depuis le premier tour », nuance Mourad Zeghidi, qui anime quotidiennement une émission consacrée à la CAN sur la chaîne El Hiwar Ettounsi.

Dans le passé, les deux sélections se sont rencontrées cinq fois en phase finale de Coupe d’Afrique, avec une victoire chacun et trois matchs nuls. L’espoir est donc permis. Le gouvernement tunisien a affrété quatre avions afin de transporter les supporters. Certains hésitent encore à aller en Egypte avant le résultat de dimanche, mais d’autres sont déjà sur place, comme Hayder Naimi, un Tunisien vivant en France et qui a toujours soutenu l’équipe nationale : « Je pense que cette année c’est la bonne car les Egyptiens nous soutiennent aussi. Ils adorent Ferjani Sassi qui évolue comme milieu de terrain au club du Zamalek [au Caire]. » Pour lui, la CAN permet aussi de dépasser les rivalités entre supporters tunisiens liés aux clubs de football, très suivis en Tunisie.

Une nouvelle victoire offrirait une parenthèse bienvenue aux Tunisiens

Face aux attentes de leur public, les joueurs de l’équipe nationale gardent leur sang froid et leur humour. Alors qu’en début de compétition, ils subissaient les moqueries de supporters qui leur reprochaient de faire plus attention à leur coiffure qu’à leur jeu, ils ont chanté en rimes dans les vestiaires, après l’avoir emporté face au Ghana : « Kératine, Kératine, manech mrawhin » (« Kératine, Kératine, on ne rentrera pas de sitôt finalement »). Une nouvelle victoire offrirait une parenthèse bienvenue aux Tunisiens, dans un contexte économique sécuritaire tendu, alors qu’un double attentat a frappé Tunis le 27 juin. Jeudi soir, les scènes de liesse dans les rues de la capitale et le bruit tonitruant des klaxons, en ont donné un avant-goût. « Nous avons besoin d’être un peu heureux, ça fait longtemps que l’on ne l’a pas été », témoigne Mohamed Ali Jamoussi.

Lilia Blaise (à Tunis)

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