Avec le rétablissement d’Internet, les Soudanais revivent la terreur de la répression
Avec le rétablissement d’Internet, les Soudanais revivent la terreur de la répression
Le Monde.fr avec AFP
Depuis le retour du réseau, les images, photos ou films, des violences perpétrées par les forces de l’ordre soudanaises sont devenues virales.
Manifestation à Khartoum le 13 juillet 2019. / EBRAHIM HAMID / AFP
Quelques jours après la fin du blocage d’Internet, mardi 9 juillet, les Soudanais revivent la terreur semée lors de l’évacuation meurtrière du sit-in de manifestants à Khartoum en regardant les images, devenues virales, de la répression.
Le 3 juin, 136 personnes ont été tuées lors du raid brutal mené sur le campement de manifestants installé depuis avril devant le siège de l’armée, selon un comité de médecins proche de la contestation. Les autorités, elles, parlent de 71 morts.
Des dizaines de protestataires, qui occupaient cet endroit devenu le poumon de la révolution pour demander le transfert du pouvoir aux civils, ont été tués par balles et frappés par des hommes armés qui ont évacué le sit-in dans le sang, provoquant un tollé international. Immédiatement après le drame, les autorités avaient imposé le blocage total de l’internet mobile dans le pays, jetant un voile sur les violences perpétrées.
« Aucune pitié, religion ou humanité »
Avec le retour du réseau mardi, les images que de nombreux Soudanais n’avaient encore jamais vues, sont devenues virales. Largement partagées sur les réseaux sociaux, elles ont provoqué le choc et la colère au sein de la population.
« Les images de meurtres et de coups brutaux m’ont mis très en colère, déclare Hussein Hashim, 19 ans, étudiant à l’université du quartier d’Al-Deen à Khartoum. Leurs auteurs n’ont aucune pitié, religion ou humanité. »
« Ces vidéos ont pour but de nous effrayer, dit pour sa part son ami Samuol, accusant les autorités de les diffuser. Mais ces scènes horribles nous donneront encore plus de raisons de nous battre pour que justice soit rendue pour les martyrs. »
Une photo en particulier a suscité la fureur de la population. Elle montre des hommes en tenue militaire et bottes, posant leurs pieds sur le visage d’un manifestant étendu sur le sol.
Des dizaines de vidéos ont été mises en ligne ces derniers jours. Une d’entre elles montre un groupe d’hommes armés, en tenue militaire, cernant une adolescente en train de crier alors qu’un d’entre eux la tient par le cou.
De nombreuses images montrent des hommes armés frappant des manifestants avec des bâtons. L’AFP n’a pas pu vérifier leur authenticité, la plupart d’entre elles ayant été diffusées sur les réseaux sociaux par des comptes affichant des pseudonymes. L’Internet mobile a été rétabli après des poursuites engagées contre les fournisseurs de réseau par un avocat basé à Khartoum, Abdelaziz Hassan. « L’objectif du blocage était de dissimuler des informations et des preuves sur ce qui s’est passé lors du massacre », a-t-il déclaré à l’AFP.
Des dizaines de personnes avaient déjà été tuées dans la répression des manifestations lancées le 19 décembre 2018, après la décision du gouvernement de tripler le prix du pain. Le mouvement avait pris une tournure politique en réclamant la chute du président Omar Al-Bachir, destitué et arrêté le 11 avril par l’armée après trois décennies au pouvoir.
Sur une page Facebook, créée pour rassembler les images du « massacre » du 3 juin, Hassan Mora, une internaute, écrit : « Les responsables de ce crime doivent rendre des comptes. » « Sans responsabilité, punition et vengeance, cette révolution spectaculaire ne réussira pas », a renchéri Alaa Khairawi.
« Nous continuerons »
Les manifestants et des ONG accusent les redoutées Forces de soutien rapide (RSF) d’avoir mené le raid. Mais le chef de ces groupes paramilitaires, Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemeidti », également numéro deux du Conseil militaire de transition, au pouvoir, a rejeté ces allégations.
« Ces photos sont des montages », a-t-il déclaré lors d’un rassemblement la semaine dernière, accusant des services de renseignement étrangers de filmer et de diffuser les images. « Il y a des gens qui ont filmé 59 vidéos en une journée, comment est-ce possible ? Ils ont des idées derrière la tête, c’est sûr. »
Le Conseil militaire de transition a ordonné l’ouverture d’une enquête sur les violences du 3 juin, mais les conclusions n’ont pas encore été rendues publiques. Montrant une vidéo dans laquelle un groupe d’hommes en treillis frappent des manifestants, un chauffeur interrogé par l’AFP assure que « ces vidéos ne sont pas des montages, certaines ont même été tournées par les hommes armés », affirme-t-il.
« Après avoir vu ces images, j’ai envie de venger les victimes », ajoute-t-il sans donner son nom.
« J’étais heureuse du retour d’Internet. Mais maintenant, je me sens en colère et humiliée », dit une jeune femme qui souhaite elle aussi rester anonyme. « Ils veulent intimider les femmes, mais nous n’aurons pas peur et nous continuerons à manifester », lance-t-elle. Samedi 13 juillet, de jour comme de nuit, ils étaient à nouveau des milliers dans les rues des grandes villes du pays pour faire mentir la peur et réclamer vérité et justice pour les victimes de la répression.