A Alger, supporteurs et manifestants mêlés dénoncent toute récupération politique
A Alger, supporteurs et manifestants mêlés dénoncent toute récupération politique
Par Madjid Zerrouky (Alger, envoyé spécial)
La capitale a vibré avant, pendant et après le match pour son équipe, mais aussi, pour beaucoup, contre le pouvoir.
La joie des supporters rue Didouche dans le centre d’Alger. / ABDO SHANAN POUR « LE MONDE »
Ils avaient une foi quasi messianique en la victoire finale de leur équipe nationale. A Alger, Il y avait quelque chose de profondément déconcertant, vendredi 19 juillet dans la soirée, à voir des milliers de personnes quitter le stade Ouaguenouni en chantant… cinq minutes avant la fin du match. Comme s’ils n’avaient plus la force de patienter et que l’envie de quitter cette enceinte survoltée, prise d’assaut par 15 000 hommes, femmes et enfants pour partir « défiler » à l’extérieur était irrésistible. Le coup de sifflet final pouvait attendre.
« C’est fini ? », demande alors un ado interloqué, adossé un pilier en béton lui masquant le grand écran. « La Terre va se retourner quand ce sera fini », répond une voix. C’est le ciel qui a viré au rouge vif quand une mer de fumigènes s’est allumée instantanément pendant que crépitaient des dizaines de feux d’artifices. L’Algérie venait de remporter la CAN (1-0), face au Sénégal. Et le ciel n’était pas près de s’obscurcir, dans tous les quartiers de la ville.
Une demi-heure plus tôt, un long murmure d’inquiétude avait pourtant parcouru les rangs de Ouaguenouni quand l’arbitre avait sifflé un penalty pour le Sénégal avant de revenir sur sa décision. On s’en était alors remis au ciel en invoquant « Moulayna » (« notre signeur »). La décision de ne pas siffler une main involontaire algérienne a été saluée avec presque autant de vacarme que l’unique but de la rencontre, en tout début de partie.
« Dites-leur, vous ne nous entuberez pas avec le ballon »
« La coupe était pour nous, c’était écrit », entendra-t-on après coup. Quand toute la ville a déferlé dans les rues pour danser, crier, chanter et se laisser porter au grès des escaliers et avenues. On y a alors enchaîné tout le répertoire des chants de clubs de supporteurs, de l’équipe nationale, mais aussi ceux, toujours issus des stades, qui rythment la révolte populaire que connaît le pays depuis cinq mois. A commencer par La Casa del Mouradia, l’hymne contestataire des fans de l’USM Alger, en passe de devenir un patrimoine national. Le point d’orgue d’un vendredi singulier qui aura vu les Algérois ne pas quitter le bitume du centre-ville.
Plus tôt, à grands cris du « peuple veut la coupe d’Afrique » ou « il reste encore Gaïd (Salah, le chef d’état-major de l’armée) et le Sénégal » pour les plus politisés, les Algérois poursuivaient, à deux heures du coup d’envoi du match, leur grand chassé-croisé supporteurs-manifestants entamé en début d’après-midi.
La finale coïncidait ce vendredi avec les manifestations hebdomadaires contre le régime. Avec un classique du jour, entonné par les opposants depuis les premiers succès de la CAN : « Dites-leur », qui dénonce toute récupération politique d’une victoire : « Dites-leur, vous ne nous entuberez pas avec le ballon. Dites-leur : on arrachera la liberté quoi qu’il en coûte ».
Plusieurs heures durant, des milliers de manifestants et de supporteurs, les deux se confondant souvent, se sont croisés et mélangés le long de l’axe menant de la rue Didouche-Mourad à la Grande Poste. Les seconds rythmant souvent les chants des premiers avec leurs trompettes, tambours et vuvuzelas malgré le dispositif policier massif déployé en ville.
« Le pays est notre pays et on fait ce qu’on veut », chantaient les Algérois dans les cortèges à 14 heures, en arrivant au stade à 18 heures puis en le quittant quatre heures plus tard. Au petit matin, à trois heures passées, chants, youyous et notes de trompette continuaient de s’élever dans le ciel algérois. La capitale appartenait cette nuit à ses habitants.